L’Homme à la Buick - Gilles Grangier - critique

Critique : L’avant-dernier film de Fernandel est aussi l’ultime long métrage dialogué par Henri Jeanson. Il laisse une impression crépusculaire : celle d’un cinéma ringardisé par la Nouvelle Vague, mais dont l’agonie aurait duré suffisamment longtemps pour permettre à des réalisateurs comme Gilles Grangier de s’offrir quelques derniers tours de piste, avec des succès commerciaux absolument évidents (La Cuisine au beurre, par exemple, en 1963).
La star vieillissante de ce tout petit divertissement incarne un personnage à la fois débonnaire et hypocrite, qui aurait pu échoir à la vedette de Touchez pas au grisbi. La première demi-heure s’écoule comme un long fleuve tranquille, sans qu’il ne s’y passe grand-chose. Et pourtant le film n’est pas désagréable, parce que les acteurs y sont plutôt bien assortis à leur rôle : Danielle Darrieux brille par son élégance et son ironie, Claude Piéplu interprète un notaire bien comme il faut, Laurence Badie une buraliste gouailleuse. Personne ne semble dupe, chacun s’amuse à faire semblant.
Le seul intérêt est de savoir combien de temps la comédie du citoyen honnête, qui convoie des enfants défavorisés jusqu’à la Suisse, va durer, d’autant que le bougre fomente le casse d’une bijouterie. C’est un mince fil scénaristique que déroule Gilles Grangier, prototype de ce cinéma antédiluvien dont les interprètes sont les murs porteurs, et qui ne présente maintenant qu’un intérêt sociologique.
En effet, la mise en scène achoppe sur des conventions difficilement acceptables, comme le dévoilement du monologue intérieur des personnages par des voix off ou les réunions de gangsters avec alcool et cigares de circonstance. Le gentil pas de deux sentimental entre les deux acteurs principaux lorgne sur les grandes comédies hollywoodiennes, mais Fernandel n’aura pas de mal à convaincre qu’il n’est pas Cary Grant. Heureusement que Jean-Pierre Marielle est là pour dynamiser (un peu) ce polar du dimanche : son rôle de bandit complice et sans gêne lui permet de parfaire son personnage de médiocre bouffi d’autosatisfaction, auquel il donnera une consistance réelle qui le tendra si populaire la décennie suivante. On remarque aussi l’inquiétant Michael Lonsdale dans un rôle du policier suspicieux . A part cela, Honfleur est une ville toujours aussi agréable à regarder...