Le 21 mars 2018
A quelques pas de Matignon, Emmanuel Demarcy-Mota présente l’état de siège une pièce méconnue d’Albert Camus sur les pandémies pestiférantes et totalitaires du XXème siècle. La menaçante météorite du fascisme, incipit de sa pièce, pourrait-elle s’écraser un jour place de la Concorde ?
- Genre : Théâtre (spectacles)
- Plus d'informations : Le site du théâtre
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Résumé : Créée par Jean-Louis Barrault en 1948 au Théâtre Marigny et très peu repris ensuite L’État de siège a voyagé en 2017 dans 6 villes des États-Unis et du Canada : Ann Arbor, Berkeley, Los Angeles, New York, Boston et Ottawa. Une aventure de six semaines pour un spectacle dont la portée symbolique a fait forcément échos chez les spectateurs à la situation politique américaine. Dans L’État de siège, AlbertCamus montre comment, dans une période d’incertitudes, le doute et le désarroi peuvent ouvrir la voie aux autoritarismes de tout poil et comment y faire face. L’histoire se passe dans une ville au bord de la mer. Jour après jour la vie s’y déroule tranquillement, heureuse pourrait-on dire. Il y a même des comédiens qui répètent leur prochain spectacle. Brusquement l’un d’eux s’écroule. Diagnostic : la peste. Arrive alors un homme personnifiant ce mal, susceptible de frapper celui ou celle qui ne lui obéira pas aveuglément.
Notre avis : De mémoire de spectateur, il n’a jamais été donné d’assister à un tel déploiement de moyens pour une performance théâtrale. Le décorateur a installé avant même l’arrivée à l’espace Cardin, depuis la station de métro Champs-Elysées Clémenceau jusqu’à l’entrée, une file de camion de sécurité, environ une dizaine, peints aux trois couleurs de la France comme ceux de police. Des figurants engoncés font mine de se défaire de gilets pare-balle, d’armures de plastique noir, sous l’éclairage blafard des phares de camions. Les effets de costume sont saisissants. Le jeu suspicieux des comédiens est parfaitement interprété, inspiré largement des compagnies de sécurité républicaine. En face de l’entrée, le décorateur a installé en premier rang des bornes de béton dites anti-bélier, si il y a là un parti esthétique évident de répétition, on se demande comment tout cela va partir en tournée... puis de nouveau quelques gardes déambulant, peu expressifs, mitraillettes au corps, mais là encore la direction d’acteur est juste. En second rang, on aperçoit derrière les ferronneries noires et or de cette contre-allée, des jardins magnifiques, de fausses façades de pierre de la plus belle architecture, percées d’appartements lumineux : lustres de cristal, tentures de grande hauteur, boiseries dorées. Là encore, le budget n’a semble-t-il pas été contraint. Un convoi de véhicules noirs aux vitres fumées traverse à toute vitesse la place de la Concorde, transportant probablement les artistes jusqu’à leur entrée. Gyrophares et sirènes annoncent la représentation, il faut rejoindre sa place.
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- (C) Jean-Louis Fernandez
Puis les choses se gâtent, probablement par économie, les figurants de la sécurité censés participer à la fouille d’entrée du théâtre ne semblent pas convaincus de leur rôle, même si l’idée d’état de siège est bien rendu. Remarquable intelligence de mise en scène qui consiste à s’approprier les abords, les entrées et le foyer. Les figurants habillés en noir qui vous mènent à votre place, conservent votre vestiaire et déchirent votre ticket sont eux-aussi par leurs costumes, l’annonce subtil de la peste que combat Camus dans cette pièce. Que dire ensuite ? Sinon que les moyens se dégradent encore au commencement de la représentation. Le décor au sol est une bâche de chantier, des tables de jardin pliables font tables de banquet, des images projetées illustratives vieillies et décolorées nous expliquent l’intrigue, une sonorisation de la scène fait écho aux comédiens qui s’entendent comme dans un tunnel réverbérant. Un gémissement devient un hurlement, un hurlement, un ouragan.
Ça fait peur...
- (C) Jean-Louis Fernandez
Pourtant les comédiens ont des qualités, visiblement. Mais que leur faut-il faire au nom de la tragédie ? Ils tremblent, se frôlent (scène étroite) se jettent passionnément aux pieds les uns des autres, effrayés par la menace de la météorite/de la peste/du fascisme. Le premier rôle homme est un jeune afro-français dont le timbre et la diction des fins de phrase en mode Maître Gims est un hommage à l’origine méditerranéenne de la pensée Camusienne. A n’en pas douter, on attend Phèdre avec l’accent provençal. L’opportunité de le mettre torse nu en seconde partie et faire ruisseler la peste noire comme une huile de protection solaire sur ses muscles dessinés (jalousie quand tu nous tiens), rappelle les plages algériennes de l’enfance du petit Albert...
Il manque un peu de recul et de clairvoyance à Emmanuel Demarcy-Motta sur l’adaptation de sa mise en scène déjà donnée ailleurs. La technique, l’étroitesse de la scène, ont eu le dessus sur ce spectacle qui n’a pas su tirer parti des contraintes du lieu. Enfin, le plus important, le texte de Camus ! Quand même ! Plume de Nobel ! Intéressant, éternellement d’actualité, manuel d’être au monde, d’une emphase poétique comme le vent de bord de mer, révolté contre le mesquin, les cases, les cages mentales, les bien-pensances absurdes, les fascismes oppressant et décimant. Albert chante magnifiquement la gloire de l’humain, ce vainqueur sublime et fou qui refuse la peur et réussit à cette condition à se libérer.
- (C) Jean-Louis Fernandez
Du 14 mars au 13 avril 2018 (reprise)
Auteur : Albert Camus
Metteur en scène : Emmanuel Demarcy-Mota
Troupe du Théâtre de la Ville Compagnie
Galerie Photos
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