Le 30 août 2019
Mardi dernier, on a regardé La fabuleuse histoire de l’école. On a pensé aux Mythologies de Roland Barthes.
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Avis : L’école française à travers les âges. C’était le programme d’un numéro de la nouvelle série, présentée par Stéphane Bern, qui constitue le pendant de Secrets d’histoire. Le concept se décline en "fabuleuses histoires", plus le sujet en question. Après le restaurant, l’hygiène et la beauté, on a donc eu droit à l’école. Quelques jours avant la rentrée, c’est à la fois banal et stratégique. Avant Noël, on découvrira peut-être la "fabuleuse histoire du barbu en rouge". A Pâques, les cloches. A la Chandeleur, les crêpes. Etc. En juin, le feu de la Saint-Jean. Les chassés-croisés juillettistes-aoûtiens, pendant qu’on y est. Calendrier, traditions, marronniers.
Dans cette émission, on apprend surtout en s’amusant. Bern fait participer d’autres personnalités (une jeune chanteuse, un animateur, une réalisatrice et actrice, un humoriste) qu’il habille volontiers dans des costumes d’époque. De là, une impression globale de folklore. Le mot n’est pas neutre. Il a même une consistance idéologique. Pour la partie sérieuse, on convoque des historiens ou des spécialistes de l’éducation. La routine.
Bref, on se pose devant l’émission, plutôt alerté par le teasing : l’école à travers les âges en comportera quatre, le Moyen Âge, le siècle classique (celui de Louis XIV, donc), l’époque des hussards noirs de la Troisième République, les années 50. Pourquoi rien ensuite ? L’école s’arrête ?
La réponse se déduit de l’émission, de sa mise en scène, de ses angles. Les reconstitutions en costumes, marque de fabrique du bernisme et de tant d’autres docu-fictions, on se dit que ce n’est pas rien. Et encore moins quand des gens du XXIème siècle se prêtent au jeu et entretiennent la douce nostalgie de l’école d’antan. Ce n’est pas asséné, ce n’est pas ostentatoire, mais toute l’émission en est imprégnée. Comme un feu de bois qui ronronne dans la salle. On y est si bien. Cette douce ambiance sent bon l’encre d’antan, la dictée non préparée, les osselets dans la cour, mais aussi la férule des maîtres qui s’incarne dans le martinet. Certes, Stéphane Bern l’associe aux châtiments corporels, rappelle leur interdiction (une allusion au Statut sur les écoles primaires élémentaires communales, du 25 avril 1834), en oubliant de mentionner l’exception de la mise à genoux, pendant une partie de la classe ou de la récréation. On imagine à quelles souffrances des anatomies enfantines ont été soumises.
Quelque chose dérange. Figé dans son éternelle bonne humeur, qui lui fait parler de la même manière d’un monarque criminel et d’un roi bienveillant, Bern évoque le martinet d’une façon tellement souriante et cool que l’objet de torture s’en trouve lui-même folklorisé, à la manière de l’encrier, la plume, le cerceau à la récré. Bref, dépouillé de sa violence, déconnecté du système autoritaire qui l’a produit, l’instrument semble une araignée morte, un symbole rendu inoffensif par une entreprise de neutralisation qui relève en fait de ce que Roland Barthes appelait "la doxa". C’est toujours pareil finalement : par des effets de naturalisation, on cache des intentions profondes, intrinsèquement conservatrices. Réduites à quelques signes qui font sens : l’école de Bern, c’est celle d’une époque d’avant les écrans, l’écriture SMS et le collège unique. Cette école de la soumission à laquelle quelques enseignants notoirement réactionnaires comme Jean-Paul Brighelli ou Véronique Bouzou, pour ne citer qu’eux, voudraient revenir, celle qui instruit des élèves toujours dociles. Dans des espaces bien répartis : le maître d’un côté, la classe de l’autre, le savoir à notre gauche, l’ignorance à notre droite.
On y apprendra les bonnes manières. Dans l’émission, en s’amusant. Et la jeune chanteuse Angelina traverse ces pseudo-siècles reconstitués en carton-pâte, avec le sourire d’une ravie de la crèche, qui vient de l’époque du numérique, ce gros mot expédié en deux phrases, lorsqu’il s’agit de parler de l’informatisation des établissements, au début des années 80. En vérité, l’adolescente bien sage, qui ne cesse d’acquiescer et répond sagement, est l’élève modèle que fantasme une école traditionnelle : elle est conviée à une entreprise de mystification sympa, adoucie par la fausse bonhomie de Stéphane Bern, l’homme qui ferait passer les vessies pour des lanternes.
Or, ce n’est pas un hasard si La fabuleuse histoire de l’école, dans son goût de l’historiographie officielle, oublie la pédagogie. Ou plutôt ne la mobilise qu’à travers une référence, une seule, plutôt signifiante : Jean-Baptiste de La Salle, un ecclésiastique, le père de la méthode simultanée. Avec un maître et des élèves répartis par niveau et par âge. L’instructeur parle, les enfants se taisent. Ce qu’on appelle la pédagogie traditionnelle, qui n’est pas la pédagogie tout court. On n’entend pas souvent parler du sieur de La Salle en sciences de l’éducation. On aurait plutôt tendance à évoquer une figure matricielle, le Rousseau pédagogue de L’émile, puis son disciple Pestalozzi, qui projeta de donner "des mains à L’Emile", puis tant d’autres qui s’intègrent pour une grande partie dans le mouvement de l’Education Nouvelle, ce courant qui rejetait largement la verticalité ancestrale, illustrée par Bern et consorts, mise en scène pendant de longues minutes, comme si elle était l’alpha et l’oméga de toute l’histoire éducative. Indépendamment de ce qu’on en pense, les mouvements alternatifs ont existé. Ils ont même des continuateurs qui font vivre ce qu’on appelle d’autres manières d’apprendre ou d’enseigner, dans leur foisonnante diversité. Depuis longtemps. Et c’est autorisé.
Ne pas en parler, c’est factuellement mentir sur l’histoire de l’école française. Ou feindre de croire que tout cela n’est pas advenu. Alors oui, en deux phrases, au moment d’aborder mai 68, la voix off évoque vaguement l’affaire, parlant d’une révolte qui s’est exprimée contre l’école traditionnelle. Histoire de. Et alors quoi ? Et qu’est-ce qu’on a fait de cette remise en question ? Qui est pour, qui est contre ? Silence.
Si encore sur le système scolaire, l’émission se dispensait de mensonges. Mais même pas. A plusieurs reprises, le commentaire off nous apprend que l’école est obligatoire. Ah bon ? C’est peut-être le fantasme de certains ou de certaines. Mais en l’état, non : la République française ne donne un caractère prescriptif qu’à l’instruction. Et on peut la faire à domicile. Mais l’instruction découplée du système scolaire, ça ne rentre pas dans la grille théorique de l’émission. Ça doit être une chose illégale ou ça ne ne convient pas à un système de pensée plus global.
A la fin du parcours ludique, on n’est pas définitivement pas dupes. L’école à la sauce Bern, c’est surtout une certaine façon de concevoir l’histoire, selon le principe du roman national. Et financée par le service public.
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