Le 14 septembre 2015
Une charge féroce, dans la meilleure veine de Ferreri.
- Réalisateur : Marco Ferreri
- Acteurs : Michel Piccoli, Claudia Cardinale, Vittorio Gassman, Ugo Tognazzi, Enzo Jannacci
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Italien
- Durée : 1h56mn
- Titre original : L' Udienza
- Date de sortie : 12 janvier 1973
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– Reprise en version restaurée : le 23 septembre 2015
Une charge féroce, dans la meilleure veine de Ferreri.
L’argument : Originaire du Nord de l’Italie, le jeune Amedeo se rend à Rome pour obtenir une audience avec le Pape. Mais son insistance suscite la méfiance des autorités du Vatican, qui vont tout faire pour l’empêcher d’arriver à ses fins...
Notre avis : Ferreri n’a jamais été un grand styliste ou un esthète : la plupart de ses films sont des charges corrosives qui, mis bout à bout, constituent une radiographie sans concessions de la société occidentale, qu’il s’attaque au néo-colonialisme (Y a bon les blancs), au mariage (Le Lit conjugal), à la maternité (Le Futur est femme), ou à la société d’abondance, dans son film le plus connu, La grande Bouffe. Ses fables sont celles d’un « provocateur utile », ainsi qu’il se définissait, poil à gratter dans un cinéma qu’il jugeait conventionnel et timoré. À partir d’une situation donnée, sa force était d’en pousser la logique jusqu’au bout, sans dévier, mais non sans finesse dissimulée.
L’ Audience s’inscrit dans cette veine polémique en prenant pour cible, à travers le parcours chaotique d’ Amedeo pour obtenir une entrevue avec le Pape, l’institution catholique devenue une bureaucratie impénétrable. Le jeune homme qui a un message important dont on ne saura rien se heurte à une suite d’intermédiaires cauteleux ou menaçants, eux-mêmes englués dans des rapports hiérarchiques complexes. Tour à tour accusé, frappé, interné, il met au jour à son corps défendant un réseau ne reculant devant rien, que ce soit la prostitution ou le combat armé, un ensemble de petits chefs interdépendants. Mais ce qui régit ce monde clos, c’est moins la spiritualité que la peur : c’est là à notre sens le moteur dissimulé de cet aréopage de personnages énigmatiques ; peur du complot, de la violence, de la contestation, peur surtout de déplaire à un supérieur, qui conduisent à éloigner le commun des mortels de l’église, loin de ses vertus affichées. Le pauvre Amadeo est ainsi ballotté, perpétuellement épié, d’un formulaire à un fonctionnaire sans que jamais sa cause progresse.
Malgré quelques scories (abus de zooms, de surexposition, longueur excessive), le film tient par sa logique implacable et par ses extraordinaires comédiens : tout de retenue et de nuances, Piccoli, Cuny ou Tognazzi excellent à suggérer la peur (voir le plan rapide dans lequel Piccoli baisse la tête, inquiet) derrière des masques impénétrables. Ils ne cessent d’appeler Amedeo à la patience et au calme, pour mieux le contenir et le maîtriser. La fin, en ce sens, est terrible avec son dénouement dramatique et sa continuation. Mais le dernier plan est encore, comme au début, un plan fixe sur le Vatican inaltérable : passent les hommes, l’institution demeure.
Ferreri, s’il constate la perte de spiritualité, et malgré la force de la charge, réserve ses plus belles séquences à Claudia Cardinale, qu’il filme amoureusement nimbée de lumière, ou sensuellement dévêtue. Comme il l’affirmera plus tard, Le Futur est femme. C’est au fond la vraie spiritualité ; faute de le comprendre, faute de saisir la chance qu’elle lui offre, Amadeo se perd dans une quête aussi vaine que dangereuse. On pense bien sûr à Kafka, cité dès les premières minutes du film et à la fin (L’ Audience est une transposition du Château), mais aussi au théâtre de l’absurde, et notamment aux Chaises de Ionesco. Car le message ne sera pas transmis et l’indifférence générale broie le jeune homme, qui ne sera ni héros ni martyr, juste la victime anodine d’un système fou.
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