Le 30 avril 2019
Ferreri signe une fable audacieuse et pessimiste sur notre époque. Christophe Lambert, Eddy Mitchell et Anémone enrichissent leur filmographie avec ce cinéma d’auteur.
- Réalisateur : Marco Ferreri
- Acteurs : Anémone, Eddy Mitchell, Christophe Lambert, Agnès Soral
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Français, Italien
- Distributeur : UGC Distribution
- Durée : 1h42mn
- Box-office : 451 358 entrées France / 105 075 Paris périphérie
- Date de sortie : 14 mai 1986
- Festival : Festival de Cannes 1986
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Résumé : Michel est un homme qui ne voit pas ce qui l’entoure. Mal dans sa peau, il est dans son petit monde, jusqu’au jour où il tombe sur un étrange porte-clé en forme de visage féminin. Il tombe amoureux de la femme en question.
Notre avis : Comme beaucoup de films de Ferreri, celui-ci repose sur une idée, originale, qui débouche sur une fable ; soit donc Michel, séducteur malgré lui au comportement autiste, incarné par un Christophe Lambert absent, et flanqué de son envers, un raté suicidaire auquel Eddy Mitchell prête son apathie. Ils évoluent dans un monde froid et trop grand, entre tours, hangars et terrains vagues, le monde des villes inhumaines, celui des centres commerciaux qui vendent du rêve frelaté. Ferreri excelle à y placer ses personnages, suggérant une solitude existentielle, celle de l’homme moderne que des rencontres occasionnelles ne contentent pas. Leur vie médiocre et sans attaches n’est qu’une morne répétition qui trouve son apogée devant des pubs télévisées, et autour d’eux le décalage est permanent : un petit garçon asiatique élève un porc, un client veut aller au Japon en train, une autre faire le tour du monde sans passer par l’Afrique. À travers des séquences variées, Ferreri suggère que la société dysfonctionne, que la recherche éperdue d’amour cache l’égocentrisme de figures tristes enfermées dans leur univers, ce qu’un élément déclencheur va matérialiser.
Cet élément, c’est un porte-clé à visage féminin qui dit « I love you » quand on siffle. De cette découverte anodine naît une intrigue très lâche, dont à vrai dire Ferreri ne sait pas toujours quoi faire. Certes, l’idée de l’obsession pour un porte-clé annihilant tout autre rapport humain est originale, puissante peut-être, mais elle se dissout dans une apathie à peine rehaussée par quelques rencontres (celle d’un autre possesseur de l’objet est réjouissante). Le film alterne alors moments creux et scènes marquantes : on se souviendra par exemple de Lambert se masturbant devant un écran sur lequel il a collé le porte-clé. Il n’est pas impossible que Ferreri ait souhaité ce rythme alangui, miroir de l’ennui des personnages ; mais la férocité et la volonté de provoquer qui font souvent le prix de ses métrages (on pense bien sûr à La grande bouffe, mais Le lit conjugal ou La dernière femme témoignaient également de cette verve iconoclaste) semblent s’affaiblir au fur et à mesure que le temps passe.
Heureusement, la fin renoue avec l’inventivité du réalisateur : de la destruction du porte-clé à l’inévitable voyage vers la mer, en passant par une courte autocitation qui semble prouver que le salut vient du cinéma, le film parvient à surprendre et la naïveté même des trucages confère à cette issue dramatique une poésie abrupte. Au total, la vision noire de l’auteur italien semble procéder dans cette œuvre mineure davantage des intentions que de leur concrétisation. I love you a mal vieilli et, malgré son indéniable originalité, peine à captiver.
Reste que l’interrogation porte encore : on le sait, Ferreri voulait faire de Michel un Christ contemporain, d’où l’étrange séquence du « suaire » et, à l’instar de Dostoïevski, il se demande ce que serait un Christ aujourd’hui. Le constat est cinglant : Jésus a beau avoir des sectateurs, des idolâtres convertis en un clin d’œil, c’est un égocentrique impuissant qui ne sait que faire d’une popularité absurde. Échec d’une religion factice, échec des relations humaines, rien ne fonctionne, hormis le dérisoire substitut que représente le porte-clé. Particulièrement pessimiste, Ferreri ne laisse d’autre issue qu’un possible mirage, le voilier, qui ne peut conduire qu’à une forme de suicide. Le cinéaste, en regardant attentivement le monde, en tire une morale noire qui fait que, longtemps après sa vision et malgré la relative déception qu’elle procure, le film reste en tête de manière obstinée. Signe sans doute que le cinéaste a visé juste et que son nihilisme n’est pas qu’une façade.
© 1986 Top n°1 Productions, Alliance Film Communication (AFC), UGC Images, UGC . Tous droits réservés.
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