Le 28 octobre 2004
Pour la sortie d’un recueil de ses premières histoires publié par Casterman [1], nous avons pu rencontrer la jeune mangaka de passage à Paris.
Pour la sortie d’un recueil de ses premières histoires publié par Casterman, nous avons pu rencontrer la jeune mangaka de passage à Paris.
Pour ceux qui ne la connaissent pas encore, Kan Takahama est une jeune dessinatrice japonaise, une "mangaka" dont Casterman a déjà édité Mariko parade, écrit à quatre main avec Frédéric Boilet, le plus japonais des dessinateurs français. Au mois de novembre, sortira un recueil de ses premiers récits intitulé Kinderbook, dans la nouvelle collection de Casterman consacré à la "Nouvelle Manga" initiée au Japon par l’inévitable Boilet. Ce mouvement artistique correspond en France au renouveau de la bande dessinée d’auteur connu sous le nom de "Nouvelle Bande Dessinée".
Maintenant que le contexte artistique est posé, passons au contexte géographique : l’interview a lieu à Paris dans l’hôtel où loge Kan, près des jardins du Luxembourg. Un gentil traducteur est là, car Kan ne parle que quelques mots de français, et moi même je débute en japonais. J’ai un quart d’heure de retard, l’interview commence donc sur des bases saines.
Wand : Kan, bonjour, ça va ?
Kan : Bien merci et vous même ?
Pas mal merci.
...
Comment êtes vous devenue Mangaka ?
Par hasard. A vingt et un ans, j’étais étudiante aux beaux arts et j’envisageais, à l’époque, de partir en Italie pour travailler comme bottier (rires). Un ami, au cours d’une soirée, est tombé sur certains de mes dessins et m’a proposé de les montrer à un éditeur qu’il connaissait. C’était Kodansha [2]. J’ai gagné un prix chez eux pour des planches que je leur ai proposées pour un concours, mais je n’ai pas été publiée. Alors, j’ai proposé ces planches au magazine Garo [3] qui les a acceptées et publiées... et voilà comment cela a commencé.
Une femme mangaka, c’est assez inhabituel, non ?
Oui et non. Il y a beaucoup de femme mangaka, mais dans le genre très particulier du shojo manga [4]. Dans le manga d’auteur, en revanche, c’est beaucoup plus rare, effectivement.
Vous lisiez beaucoup de manga auparavant ?
Non, pas du tout. Enfant, je lisais beaucoup de bande dessinée, comme tous les jeunes Japonais, mais, à l’adolescence, j’ai complètement arrêté d’en lire, ça ne m’intéressait plus, ni le shônen [5], ni le shojo manga ne m’attiraient. Je crois que j’ai d’ailleurs complètement arrêté de lire quoi que ce soit à cette époque... en dehors des livres qu’on devait lire en classe... La culture manga ne m’a donc pas du tout imprégnée.
Votre style de dessin est effectivement très éloigné des canons classiques du genre manga. Pas de grands yeux, pas d’utilisation de trames... On le rapprocherait plutôt d’un style croquis.
Comme je n’avais pas l’habitude de lire du manga, j’ai commencé avec mon style propre de dessin développé au beaux-arts, qui était très éloigné des classiques du genre. Cela dit, ce n’est pas du croquis, je ne me ballade pas avec mon carnet de croquis pour dessiner à tout bout de champ. Eventuellement, je note une idée, je pose des bases pour un dessin, mais les planches, je les élabore devant ma table à dessin. Quand à l’utilisation de trames, c’était une technique qui m’était parfaitement étrangère, et j’ai préféré la mise en valeur ou en couleur à l’ordinateur. Je suis une grande fan du pinceau Photoshop (rires).
Le recueil qui sort en novembre, Kinderbook, regroupe vos premières histoires. Tout d’abord pourquoi ce titre étrange ?
Le kinderbook désigne quelque chose de typiquement japonais malgré son origine étymologique partagée entre l’allemand et l’anglais. Au Japon, cela désigne des livres d’images pour les adultes. En fait on parle de "monokero kinderbook", soit un livre d’image en noir et blanc. C’est quelque chose de très ancien chez nous, et spécifiquement destiné aux adultes. C’est aussi le titre d’une des nouvelles du recueil. Je trouvais que cela représentait bien l’ensemble du livre. Quand nous avons choisi le titre, on a juste fait tomber la racine japonaise "monokero", pour garder "kinderbook".
Les histoires que vous racontez sont surtout des tranches de vies, avec un côté un peu autobiographique, par moment...
Le point de départ de ces histoires est souvent autobiographique, mais attention, c’est toujours de la fiction. Le sujet s’éloigne effectivement du romantisme cher au shojo manga, parce que ce qui m’a toujours intéressée, c’est le quotidien. Voilà pourquoi mes histoires sont très ancrées dans la vie quotidienne et un certain prosaïsme qui peut parfois paraître un peu cru. Elles sont inspirées de situations réalistes, même si ce ne sont pas forcément des histoires qui se sont réellement passées. En revanche, les textes qui séparent chaque nouvelle sont, eux, beaucoup plus autobiographiques. Ils ont été rédigés a posteriori pour l’édition française en pensant spécialement à certaine personnes que j’ai connues.
Bizarrement, vous semblez arrêter vos histoires en cours, comme pour laisser une fin ouverte.
A cette époque, la structure d’un scénario classique ne m’attirait pas. J’avais envie de raconter des nouvelles et c’est quelque chose qu’on n’écrit pas comme une longue histoire qu’on finit par boucler, comme avec Mariko parade. Ce qui m’intéressait, c’était de peindre le tableau d’une situation, d’un instant, quelque chose de très passager et fugace. Mais attention, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de scénario au sens classique du terme qu’il n’y a pas de récit. Dans chaque histoire, il a fallu trouver un équilibre entre plusieurs petits morceaux de vie mis bout à bout. Ces histoires, je les ai écrites au feeling, à partir d’un point de départ, sans forcément d’idée précise de l’endroit d’arrivée. Et puis, il arrive un moment où, au cours du récit, on se dit "c’est ici qu’il faut arrêter". C’est comme un tableau, il faut savoir retenir le coup de pinceau de trop.
La plupart du temps vous êtes auteur complet (dessin et scénario) mais vous arrive-t-il d’être seulement dessinateur, comme pour Mariko parade ?
Non, j’aime travailler seule, et j’apprécie de pouvoir m’occuper du scénario. D’ailleurs, même sur Mariko parade, j’apportais beaucoup au scénario. En fait, j’ai soumis beaucoup d’idées à "Boilet San" et lui a fait le lien, a trouvé le fil conducteur qui a donné l’unité au livre.
Comment avez vous rencontré Frédéric Boilet ?
J’avais entendu parler de lui par les journaux, j’avais notamment trouvé très intéressante sa proposition de "Nouvelle Manga". Un ami commun nous a présentés, nous nous sommes revus, et très rapidement, dès la deuxième ou troisième rencontre, l’idée et l’envie de travailler et de faire un livre ensemble s’est transformée en évidence.
Que pensez vous de l’accueil que réserve le public français à vos livres ?
En fait, je suis très étonnée de l’accueil européen en général, parce que mes livres sont aussi traduits en Grande-Bretagne et en Espagne. Vous savez, les Japonais souffrent d’un complexe parce qu’ils vivent dans une île. Ils pensent que personne ne peut comprendre ce qu’ils font chez eux. Alors c’est une agréable surprise de s’apercevoir qu’on est apprécié par des gens auxquels on ne pensait pas du tout au moment d’écrire l’histoire, que n’importe qui n’importe où dans le monde est capable de comprendre le récit, quelle que soit sa culture.
Pour terminer, sur quoi travaillez vous en ce moment ?
Sur une histoire qui a déjà commencée à sortir au Japon et qui s’appelle Deux express. C’est l’histoire d’un couple. Lui a quarante-deux ans et une maîtresse de seize ans, sa femme a trente quatre-ans et un amant de vingt-six. Ses relations à lui sont plutôt sous le signe des sentiments, alors qu’elle a une aventure beaucoup plus charnelle. Mais je ne vous en dis pas plus, j’espère que vous le découvrirez vous-même bientôt...
Kinderbook paraît en novembre aux éditions Casterman
Photo © Frédéric Boilet (prêt infiniment amical, qu’il en soit ici remercié)
[1] Kinderbook - chronique très prochainement sur aVoir-aLire
[2] Très gros éditeur de manga qui publie notamment le magazine Morning, l’un des plus gros titres manga
[3] Magazine spécialisé dans le, ou la, manga d’auteur
[4] Manga pour adolescentes
[5] Manga pour adolescents
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