Le 8 janvier 2021
Cette plongée dans les coutumes lakotas souffre d’une surprésence d’énoncés factuels et d’une trop grande pudeur : l’atmosphère n’est ainsi qu’esquissée, alors que l’occasion aurait été parfaite pour démystifier les légendes blanches et les stéréotypes.
- Auteur : David Heska Wanbli Weiden
- Collection : Americana
- Editeur : Gallmeister
- Genre : Roman
- Nationalité : Américaine
- Traducteur : Sophie Aslanides
- Titre original : Winter Counts
- Date de sortie : 7 janvier 2021
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur
Résumé : Sur la réserve indienne de Rosebud, dans le Dakota du Sud, le système légal américain refuse d’enquêter sur la plupart des crimes, et la police tribale dispose de peu de moyens. Aussi les pires abus restent-ils souvent impunis. C’est là qu’intervient Virgil Wounded Horse, justicier autoproclamé qui loue ses gros bras pour quelques billets. En réalité, il prend ses missions à cœur et distille une violence réfléchie pour venger les plus défavorisés. Lorsqu’une nouvelle drogue frappe la communauté et sa propre famille, Virgil en fait une affaire personnelle. Accompagné de son ex-petite amie, il part sur la piste des responsables de ce trafic ravageur. Tiraillé entre traditions amérindiennes et modernité, il devra accepter la sagesse de ses ancêtres pour parvenir à ses fins.
Critique : Sans longues descriptions, l’auteur de Justice indienne parvient à lever un coin du voile qui camoufle tout un monde, celui des lakotas sicangus, son peuple. Son narrateur, Virgil, est un justicier autoproclamé comme il en existe tant dans les réserves indiennes américaines : ils pallient les manquements des autorités fédérales, si enclines à fermer les yeux sur les crimes commis au sein des terres autochtones. Virgil répond donc à la violence par la violence pour que justice soit faite, au détriment des croyances et coutumes lakotas, indiens des plaines du Dakota du Sud : pour cette nation, la paix de l’âme ne peut être assurée que par le pardon. Mais le héros sert ceux qui ne peuvent se résoudre à oublier et à accepter. Il punit les viols, les injustices, les abus, les meurtres. Il se met ainsi en danger, lui et Nathan, son neveu adolescent dont il s’occupe depuis que sa mère est morte. Malgré son métier peu recommandable et ses escapades périlleuses, il tente de lui être une épaule solide, de percer la carapace fragile que s’est érigé le garçon pour se protéger des insultes et des menaces. Comme Virgil, c’est un sang-mêlé qui ne se sent à sa place nulle part et ne comprend pas vraiment les mœurs des lakotas. Tout juste les voient-ils comme des croyances ésotériques fantasques qu’il faudrait dépasser. Pourtant, quand Nathan est accolé par les circonstances, tous deux devront accepter leur double culture et leur héritage indien, les voir davantage comme une chance que comme un fardeau.
Avec ce premier roman, David Heska Wanbli Weiden rend hommage aux siens et pointe du doigt les conditions de vie dans une réserve – la malbouffe, les jeux d’argent, la pauvreté, l’alcool, les opiacés, le sang. Il évoque aussi, avec beaucoup de retenue, les cérémonies sacrées et les rituels de son peuple, prenant soin de ne pas en révéler plus que ce qui est déjà connu, pour préserver le secret qui nimbe ces coutumes. Malgré tout, le style reste très sec et sans épiphanie aucune, tandis que le récit policier connaît une résolution trop simpliste. La pudeur de l’auteur semble ainsi avoir déteint sur ses personnages, peu enclins à montrer leurs émotions. Le texte est brut et sans pathos, rustique, et manque d’une atmosphère singulière qu’il aurait pourtant été facile de lui conférer. Le sujet était en effet propice à la création d’une ambiance, d’un décor qui auraient démystifié les légendes entourant les indiens et remplacé ces stéréotypes dans l’esprit du lecteur. Mais les phrases prosaïques, les énoncés factuels ne permettent pas vraiment ce voyage spirituel dans le monde des Esprits et des fumées rituelles – on se contentera de ces notations globales et finalement assez froides.
David Heska Wanbli Weiden - Justice indienne
Gallmeister
416 pages
24,00 €
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Kirzy 9 février 2021
Justice indienne - David Heska Wanbli Weiden - critique du livre
Ce premier roman ( noir ) très réussi commence avec une enquête sur les traces de trafiquants d’héroïnes qui sévissent dans une réserve indienne du Dakota du Sud. le récit est plein d’actions, débordent de criminels, de poursuites de combats ( incroyable baston à mort avec un aiguillon à bétail ). le narrateur, Virgil, est un justicier professionnel, un homme de main payé pour venger avec les poings les criminels locaux.
A mesure que le récit progresse, le polar se fait de plus en plus intimiste, nous plongeant dans le ressenti de personnages très attachants, à commencer par Virgil : lui a renié les traditions lakotas depuis des tragédies familiales qui l’ont conduit à élever seul son neveu, adolescent à la dérive, proie facile pour les trafiquants d’opioïdes. Un personnage à l’identité déchirée, héros parfait pour ce type de roman.
Roman noir, policier, intime mais aussi et surtout social, décrivant de façon très réaliste et authentique le vécu des Amérindiens. La colonne vertébrale du récit est la vulnérabilité des habitants des réserves. En fait, Justice indienne a une forte dimension politique qui attire l’attention sur la faillite du système judiciaire dans les réserves. Depuis le Major Crimes Act voté en 1885 par le Congrès américain, la police tribale n’a aucune compétence pour instruire des affaires criminelles sur son propre territoire. Dès qu’il s’agit de meurtres ou agressions sexuelles, elle doit en référer aux autorités fédérales qui beaucoup trop souvent n’engagent aucune poursuite, même lorsque le coupable est identifié. On sent la colère de l’auteur de voir ses personnages poussés à se faire eux-même justice, ce qui équivaut à de la vengeance pure et simple.
Si la trame narrative policière est peu rigoureusement construite, souvent brouillonne avec des redondances qui auraient mérité une petite coupe , tout l’arrière-plan politique et social est absolument passionnant, surtout sous la conduite de personnages qu’on adopte immédiatement. C’est à travers eux qu’on découvre la culture lakota et son histoire. C’est toute la question de l’identité des Native americans qui jaillit de chaque situation. Loin des clichés habituels, Justice indienne met en lumière la difficulté pour les Amérindiens à maintenir l’intégrité de leur mode de vie et de leur vision du monde. Une scène très intense met ainsi en scène Virgil, le "renégat", lors de la cérémonie du yuwipi ( cérémonie de guérison traditionnelle Lakota ), où en proie à des hallucinations, il revit le massacre de Wounded Knee de 1890. Virgil, qui rejette la spiritualité lakota, devra se réconcilier avec elle pour résoudre l’enquête et surtout se construire un avenir.
David Heska Wanbli Weiden est un auteur très prometteur. Empli d’une acuité à la fois tendre et acéré, il a beaucoup à dire sur la condition amérindienne contemporaine.