Le 22 janvier 2023
Plutôt solide, parfois trahi par ses gros sabots, Jung_E interpelle son public avec attrait pour, en fin de compte, lui donner trop peu pour rester en mémoire.
- Réalisateur : Yeon Sang-ho
- Acteurs : Kang Soo-youn, Kim Hyun-joo, Ryu Kyung-soo, Park So-yi
- Genre : Drame, Science-fiction, Aventures, Action
- Nationalité : Sud-coréen
- Distributeur : Netflix
- VOD : Netflix
- Date de sortie : 20 janvier 2023
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Dans un futur post-apocalyptique, une chercheuse dans un laboratoire s’efforce de mettre fin à une guerre civile en clonant le cerveau d’une combattante héroïque : sa mère.
Critique : Étrange notion que la mort. C’est toujours l’occasion de se demander ce qui meurt vraiment. La caractérisation de notre être par notre enveloppe charnelle peut être perçue comme limitée. Mais la seule présence de notre cerveau, matrice de nos idées, de nos émotions, peut paraître tout aussi réductrice pour nous définir. Ne serions-nous pas qu’un croisement subtil entre les deux ? Le transhumanisme propose, au-delà d’aller par-dessus l’humain, de le sauvegarder. Si bien que vous pourriez être vous, sans être en vous. La question a été travaillée au cinéma sous de nombreuses coutures. La figure du zombie peut être perçue comme l’extrême inverse de celle du robot dans lequel on aurait téléchargé notre conscience, quoi que le mot revête exactement. Les infectés ne sont plus que chair, dénués du reste. Il semble alors impossible de les considérer comme un prolongement de la personne qu’ils étaient auparavant. Jung_E se considère comme un miroir inversé de la figure zombiesque, affirmant que le corps n’est plus une contrainte pour exister.
- Copyright Cho Wonjin/Netflix
Dès lors, il est à noter que deux films de zombies précèdent Jung_E dans la carrière atypique de Yeon Sang-ho. Après le très bon The King of Pigs, son premier film, délice d’animation adulte et brutale, The Fake (2013) et Seoul Station (2016), il rafraîchit la figure du zombie avec Dernier train pour Busan la même année. Le succès est exceptionnel, et participe au rayonnement mondial du cinéma coréen que Parasite de Bong Joon-ho parachève en 2019. Surtout, le film est brillant de tension et de surprise, entre satire sociale et délire horrifique audacieux. Modulo une première escapade chez Netflix (Psychokinesis, 2018), il poursuit ses délires morts-vivants avec le décevant Peninsula en 2020.
Jung_E peut donc être raccroché aux œuvres précédentes du cinéaste. Mais le doit-il ? Si cela offre quelques clés de lecture intéressantes, comme le contraste des valeurs zombies-AI, cela ne va guère plus loin. Du moins la plupart du temps. Car Jung_E ne fait pas dans la dentelle. Il ne réfléchit pas ses thèmes très en profondeur. Si l’on ne peut exiger de tous les films qu’ils soient des dissertations, difficile d’accorder beaucoup de crédit à celui-ci sur le terrain de la pensée, tant il amorce ses thèmes sans les développer, ou en les développant souvent de manière superficielle.
Cet aspect se rapproche de la froideur de la direction artistique, et d’une image à l’étalonnage sans grande saveur, qui pourrait se justifier dans les phases de simulations de combat. Elles sont l’écrin d’un affrontement conventionnel contre un antagoniste caricatural, lequel aboutira à un combat emphatique, classique d’un produit qui se pense comme un blockbuster.
- Copyright Cho Wonjin/Netflix
Et pourtant : le plaisir n’est pas interdit devant Jung_E. Quelques idées et concepts demeurent joliment introduits, comme celui du droit à disposer de soi après la mort. Les différences de classe sociale, pour la première fois, pourraient se retrouver après notre passage sur Terre. Alors qu’il est de coutume de penser que la mort ne choisit pas ses victimes, Jung_E ose affirmer que les dérives technologiques autorisent désormais le monde marchand à retirer cette égalité-là, la dernière, aux êtres humains qu’elle subordonne. Pire, on pourrait payer le fait de s’appartenir encore après la mort. Brillante idée qui, elle, est développée d’un point de vue narratif. En clair, tout n’est pas à jeter dans [Jung_E sur le plan des idées, même s’il pouvait faire plus, mieux, et emballer le tout dans une mise en scène moins fonctionnelle.
Non dénué d’une certaine lourdeur dans ses montées émotionnelles, le film sait aussi se montrer efficace dans la relation mère-fille, en inversant habilement quelques attentes. Le début se concentre sur ce que signifie toujours se sentir la fille d’une mère qui n’est plus tout à fait elle-même. Mais il poursuit en se demandant – jamais trop longtemps – ce que signifie se sentir toujours la mère de sa fille, alors qu’on n’est plus tout à fait soi-même.
Effets pyrotechniques à l’appui, Jung_E fait passer la pilule de force, et nous laisse l’impression d’un petit gâchis. Il vous reste à décider de voir le verre à moitié plein ou à moitié vide.
Galerie photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.