Invasion - Shahram Mokri - critique

Critique : Shahram Mokhri avait été révélé en 2013 par Fish & Cat, un thriller inédit en salles dont on annonce une imminente édition DVD. Présenté en section parallèle à la Berlinale 2018 et à l’Étrange Festival, son second long métrage laissait espérer un renouvellement du cinéma iranien, trop souvent cantonné aux récits néoréalistes dans la mouvance d’Abbas Kiarostami ou aux drames psychologiques proches de l’univers d’Asghar Farhadi, réalisateurs remarquables au demeurant. L’incursion dans un cinéma de genre iranien (même d’auteur) reste relativement rare, du moins pour le spectateur occidental, si l’on excepte quelques œuvres comme Sang et or de Jafar Panahi, qui s’aventurait sur le terrain du polar social. Aussi, la sortie en salle d’un film d’anticipation iranien apparaissait comme une bonne nouvelle et attisait notre curiosité.

© Damned Films

La proposition de Shahram Mokhri est certes audacieuse. Sur le fond, il s’agit de dénoncer la paranoïa des sociétés sécuritaires et fermées, au-delà de la métaphore politique concernant l’Iran depuis des décennies, la référence à l’actualité des réfugiés s’avérant par contre un élément secondaire du scénario, délibérément traité en filigrane. Au niveau formel, le réalisateur a voulu réitérer l’exploit de son premier long métrage, à savoir tourner un seul plan-séquence, même si la technique n’est plus réellement novatrice depuis son expérimentation par Alfred Hitchcock dans La Corde. Loin de caresser le public dans le sens du poil, le cinéaste casse la dimension temporelle de la narration en incrustant dans son huis clos des éléments de flash-back permettant de cerner les motivations du tueur, une même séquence étant ainsi filmée plusieurs fois.

© Damned Films

Mais là encore, d’autres cinéastes avaient déjà ouvert cette brèche, d’Alain Resnais dans L’Année dernière à Marienbad à David Lynch avec Lost Highway, en passant par Terry Gilliam dans L’Armée des 12 singes. Si l’on ne saurait dénier à Shamram Mokhri de réelles ambitions, force est de constater que le dispositif tourne en rond et finit par lasser : des personnages filmés de dos à outrance dans ce qui pourrait s’apparenter à une parodie de Rosetta ou Elephant, un jeu sur les couleurs criard qui rappelle les pires procédés sépia des années 70, des dialogues incompréhensibles à force de multiplier les sous-entendus et les mises en abîme, une réflexion confuse sur l’identité de genre. Sans doute Shahram Mokhri a-t-il le mérite d’aller jusqu’au bout de sa démarche et d’être cohérent dans son projet mais Invasion manque cruellement d’âme, de rigueur et d’authentique démarche créatrice pour susciter l’adhésion.

© Damned Films - Affiche par Mahé Neel / Sapikdesign.com