Le 17 avril 2023
- Réalisateur : Damien Ounouri
- Distributeur : Jour2fête
– Sortie en salles : 19 avril 2023
À l’occasion de l’avant-première de La Dernière reine au cinéma Darcy (Dijon), le 13 avril 2023, nous avons pu poser quelques questions au réalisateur et scénariste franco-algérien Damien Ounouri. Il s’est prêté au jeu avec une extrême gentillesse et beaucoup de courtoisie.
- Adila Benimerad dans "La dernière reine"
- © 2023 Agat films - Ex nihilo, Birth. Tous droits réservés.
AVoir-ALire : Damien Ounouri, bonjour. Merci de nous accorder une interview à l’occasion de votre premier long-métrage, La Dernière reine, qui sort en salles le 19 avril 2023. Je vais vous poser quelques questions sur vos intentions de réalisateur et divers aspects ou points du film que je souhaiterais aborder avec vous.
Damien Ounouri : OK.
AVoir-ALire : Vous avez coréalisé La Dernière reine avec Adila Bendimerad. Comment s’est déroulée votre collaboration ?
Damien Ounouri : Avec Adila, on collabore depuis une petite dizaine d’années. Adila est avant tout comédienne. Au départ, c’était un rapport de réalisateur à comédienne. Progressivement, j’ai vu qu’Adila écrivait super bien. Chacun avait son univers et cela a fait naître des choses qui n’auraient pas existé indépendamment de l’un ou de l’autre. La Dernière reine n’est pas notre première collaboration : on a déjà travaillé ensemble sur mon moyen métrage précédent Kindil el Bahr, qui était à La Quinzaine des Réalisateurs en 2016. C’est une fiction de quarante minutes, fantastique, avec une femme qui se transforme en monstre marin. Déjà, on réfléchissait au scénario et au financement de La Dernière reine parce qu’Adila est aussi productrice. Chacun a un rôle bien précis en fonction de ses talents de prédilection mais nous échangeons beaucoup pour avoir un film le plus abouti possible. Donc, c’est plus un film de nous deux qu’un film réalisé par nous deux.
AVoir-ALire : Il y a une complémentarité et une complicité qui sont fortes par conséquent ?
Damien Ounouri : Oui. Moi ce que j’aime bien là-dedans, c’est qu’il y a à la fois un regard d’homme, et un regard de femme. L’un comme l’autre, on arrive à aller chercher de la sensibilité un peu partout dans tous nos personnages. Il y a un équilibre qui me plaît énormément même si cela donne quelque chose de très hétérogène. Adila vient beaucoup du théâtre, de Peter Brook, de la tradition orale, et aussi de la littérature ; et moi, j’ai plus un background de films de série B ou de films de genre. Avec le recul, je vois ce mélange dans La Dernière reine, qui donne des choses très belles mais également monstrueuses.
AVoir-ALire : Il y a une part de légende, il y a une part de vérité dans La Dernière Reine. Pourriez vous développer ?
Damien Ounouri : Oui. Le point de départ, c’est cette reine Zaphira. C’est Adila qui m’en parle en 2014. Les historiens se contestent quant à son existence. Il y avait le roi, le descendant du Saint patron d’Alger, un homme de paix, un intellectuel. En même temps, Alger est occupé depuis six ans par les Espagnols. Les Algériens font appel à Aroudj Barberousse, joué par Dali Benssalah, qui va libérer la ville puis prendre le pouvoir. Zaphira va s’ériger contre lui. Pour un premier film, c’est un choix peu commun mais il y avait plusieurs ingrédients pour quelque chose de totalement nouveau dans le cinéma algérien : de l’histoire, de la tragédie, du romanesque. Un film d’époque en somme. Pour un cinéaste, un personnage légendaire donne beaucoup de liberté sur le plan imaginaire.
AVoir-ALire : Considérez vous La Dernière Reine comme un film "féministe" ? Pensez-vous que les femmes sont les grandes oubliées de l’Histoire ?
Damien Ounouri : C’est plus une histoire de justice ou d’injustice. On ne trouve ça pas juste que cette histoire soit effacée. Dans nos sociétés méditerranéennes, la femme joue un rôle central, ce dès le cocon familial. Du coup, l’originalité du film est de l’attaquer sous l’angle féminin. Il y a aussi la première reine Chegga, qui incarne une autre facette du pouvoir : elle est très politique, très stratège. Il y a aussi la compagne de Barberousse, jouée par Nadia Tereszkiewicz, une femme de poigne, fougueuse, qui conseille plus Barberousse que ses propres hommes. On peut donc dire que le film est « féministe », mais pour moi l’étiquette est un peu réductrice, du fait que nous ne sommes pas dans le propos militant. Le film aurait pu s’appeler Les dernières reines car on a plusieurs reines dans ce dernier.
AVoir-ALire : Est-ce que le film La Dernière reine est déjà sorti en Algérie ?
Damien Ounouri : Non, le film n’est pas encore sorti en Algérie.
AVoir-ALire : D’accord. Est-ce que vous pressentez un accueil du public différent en France qu’en Algérie ?
Damien Ounouri : La première du film s’est faite à la Mostra de Venise en Italie. À ce moment-là, on a sorti une bande-annonce de La Dernière reine et, tout de suite, les réseaux algériens se sont enflammés attestant d’une vraie joie et de beaucoup d’attente. On a reçu de très beaux messages. Des retards bureaucratiques ont hélas retardé la sortie du film en Algérie. On espère d’ici deux à trois mois pouvoir le diffuser en salles. Lors des avant-premières en France, où la communauté algérienne est importante, ce depuis plusieurs générations, on pressent déjà l’accueil qui sera sans doute réservé au film en Algérie. Il s’annonce émouvant et positif.
AVoir-ALire : Dans le film, l’arabe est la langue principale mais il y a aussi d’autres dialectes. Est-ce qu’Alger était une ville cosmopolite en 1516 ?
Damien Ounouri : Alger, c’était un peu le New York de l’époque. Ce n’était pas encore une capitale cependant. Il y avait les arabes andalous venus après la chute de Grenade, les corsaires du pourtour méditerranéen dont Barberousse, des Hollandais, des Anglais, et des juifs. Rappelons aussi que la compagne de Aroudj parle finnois et que l’un de ses bras droits est un corsaire bosniaque. La première reine parle kabyle. On a travaillé également le sabir qui était la langue commune des ports, une sorte d’espéranto en somme employé encore de nos jours à Malte. Pour en revenir à Barberousse, il était connu pour être polyglotte, à savoir parler six ou sept langues. Il serait aussi né sur une île grecque. Il y a cette musique de la langue qui est beaucoup développée dans le film.
- Nadia Tereszkiewicz dans "La dernière reine"
- © 2023 Agat films - Ex nihilo, Birth. Tous droits réservés.
AVoir-ALire : Je crois que le film a été tourné intégralement en Algérie ?
Damien Ounouri : Oui, tout à fait.
AVoir-ALire : Est-ce qu’entre l’Alger de 1516 et l’Alger d’aujourd’hui, le patrimoine historique a été préservé ?
D’abord, tout film d’époque est compliqué à tourner dans une ville moderne. Ensuite, pendant la période coloniale, énormément de patrimoine a été détruit. Ce qui n’est pas le cas au Maroc et en Tunisie qui étaient des protectorats. Ce fameux palais des rois, dont on parle dans le film, il n’existe plus, il a été détruit aux alentours des années 1840. Cependant, avec Adila, on a pris la décision de ne pas tourner en studio mais de récupérer les miettes de ce que l’on a, et de faire un puzzle de décors. Le tout de concert avec la directrice artistique. On a ainsi donner l’illusion d’un palais cohérent. Le tout nous a conduit aussi, bien évidemment, en dehors d’Alger. On a redonné vie à tout ça.
AVoir-ALire : Un soin tout particulier a été porté aux décors -ce que vous avez déjà évoqué- et aussi aux costumes. Est-ce que cela a nécessité des recherches et des confections particulièrement importantes ?
Damien Ounouri : Quand on fait un film d’époque, en France, pour les mousquetaires par exemple, on peut aller dans un magasin pour louer ou s’inspirer de costumes. En fait, nous, on a aucun référent, aucun film, aucun stock de costumes : ça n’a jamais été fait. On partait vraiment de zéro. Mais on a eu la chance de trouver un livre intitulé Algéroises de Leyla Belkaïd qui enseigne dans une grande école de mode américaine à Paris. On est entré en contact avec elle et on a commencé à travaillé avec elle. On est même allé en Italie, à Rome, aux ateliers Farani d’où sont sortis les costumes de Pasolini et Fellini. C’était une véritable chance puisque l’on y a découvert le costume de cinéma, comment le fabriquer, mais cela était beaucoup trop coûteux pour nous de tout faire là-bas. Du coup, on est retourné en Algérie, et c’est là qu’on a fait la connaissance de Jean-Marc Mireté, notre créateur de costumes au final. Adila et lui ont alors entrepris un travail fou de recherche iconographique. C’est un travail qui a pris plus d’un an.
AVoir-ALire : Combien d’années ont été nécessaires au film La Dernière reine, de la scénarisation à la diffusion en salles ?
Damien Ounouri : Sept. On a commencé le premier coup de crayon en 2014. En 2015-2016, on a marqué une pause avec Cannes. Puis, il y a eu l’écriture, les recherches historiques, les recherches sur les costumes, les décors, et les accessoires. Après, on a lancé la préparation concrète en 2019. On a commencé le tournage en mars 2020 puis on arrêté trois jours après puisqu’il y a eu la Covid qui a pénalisé énormément notre budget. L’Algérie était totalement fermée en termes de frontières. On s’est reconfiguré. Après deux mois de « blackout », on s’est remis au travail, notamment pour trouver d’autres pistes financières. On est reparti en tournage en octobre 2021, pour deux mois. Cela a certes été un long chemin mais on a pu voir se fédérer des alliés autour de notre film : ils y ont cru tout comme nous. Je pense à Jean-Marc Mireté aux costumes, Feriel Gasmi aux décors, ou encore notre coproducteur Patrick Sobelman chez Agat Films.
AVoir-ALire : Il y a un souffle épique impressionnant qui parcourt les scènes de combat contre les Espagnols. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point précis ?
Damien Ounouri : Adila est aussi danseuse donc on travaille beaucoup sur le corps. C’est quelque chose qui me plaît d’aller saisir la force des corps. Il y a le pari de prendre des personnages légendaires et de les rendre humains : les voir bouger, transpirer, et vibrer. On a une chance inouïe en Algérie, malgré une pénurie de corps de métiers dans le cinéma, d’avoir un chorégraphe de combat. Il s’agit d’un cascadeur issu de l’est de l’Algérie, Samir Haddadi, qui a monté sa propre école. On ne peut pas rivaliser avec les Américains mais on a essayé de trouver de clés pour que le tout soit impactant, fulgurant et puissant. On a pris la décision de ne pas tourner sur les plages d’Alger très urbanisées mais d’aller vers l’ouest du pays aux massifs rocheux très impressionnants. L’idée est que la force des rochers ajoute de la puissance à des guerriers paraissant issus de l’Antiquité. Presque des demi-dieux. L’idée est que tu tues ou tu es tué : les scènes de combat ne s’éternisent pas. Après, moi, j’ai une affection particulière pour le cinéma asiatique, et en particulier japonais avec le chanbara. J’aime aussi le réalisateur hong-kongais John Woo. Il y a pas mal de sang dans le film comme pour déréaliser la réalité. On peut même parler d’une certaine poésie de la cruauté ou plutôt de la violence non pas pour en faire l’éloge mais pour montrer le courage de Zaphira de vouloir exister dans un monde d’hommes.
AVoir-ALire : Pensez-vous que le cinéma algérien a besoin de films moteurs -comme le vôtre- pour légitimer sa mémoire collective sur la scène internationale ?
Damien Ounouri : Décider si le film est moteur ou pas, cela ne m’appartient pas. Mais clairement, on a des choses à dire et à montrer. Même si le cinéma reste du patrimoine immatériel, il entretient la mémoire collective d’un pays. En effet, le cinéma algérien a peu de films -deux à trois productions par an maximum- mais la légitimité internationale progresse. Depuis une petite dizaine d’années, il y a des cinéastes algériens qui font des percées dans des festivals de catégorie A. Mais le risque est que le cinéaste parte alors pour essayer de briller davantage. C’est un peu comme le cinéma iranien, on connaît et reconnaît sa qualité et sa spécificité même si l’on ne retient pas forcément qui sont ses réalisateurs. Le plus important, c’est l’indépendance financière. D’où notre avantage d’avoir été coproducteurs de notre propre film. Il faudrait qu’un fonds financier algérien s’installe dans la durée. Avoir d’autre coproducteurs permet d’avoir plus de moyens et de compétences. Notons, par exemple, que la majorité des effets spéciaux visuels et les bruitages de La Dernière reine sont faits par des Taïwanais : l’humanité gagne à se mélanger ainsi. Cela reflète tout à fait la magie du cinéma. Les compositeurs de la musique du film sont les frères Galperine qui sont d’origine russe : ils reflètent également cet universalisme.
AVoir-ALire : Comment dirigez vous vos acteurs ? Vous accordez quelle marge de liberté à leur jeu ?
Damien Ounouri : Le scénario n’est pas un écrit religieux sur le plateau. Très vite, on répète rapidement la scène et on adapte souvent souvent la technique au service du jeu et des comédiens. On met très rarement des marques au sol. On s’applique au maximum en fonction de l’émotion qui doit ressortir en filigrane tout au long du film.
AVoir-ALire : Nous vous remercions pour cette interview et nous vous souhaitons une belle avant-première ainsi qu’un franc succès pour le long-métrage La Dernière reine.
Damien Ounouri : Merci à vous. Je voulais juste ajouter que nous avions un formidable distributeur avec Jour2fête.
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