Drame russe dans une villa vénitienne
Le 30 mai 2010
Bellocchio s’approprie Tchékhov en le transposant dans une villa vénitienne, sans pour autant le trahir, avec la complicité d’une équipe d’acteurs et de techniciens portés par la grâce.
- Réalisateur : Marco Bellocchio
- Acteurs : Laura Betti, Pamela Villoresi, Giulio Brogi, Clara Colosimo, Gisella Burinato, Remo Girone, Remo Remotti, Antonio Piovanelli
- Genre : Drame
- Nationalité : Italien
- Durée : 2h10mn
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– Tournage : automne 1976, Villa Mantovani-Orsetti, Casale sul Sile (Treviso)
Bellocchio s’approprie Tchékhov en le transposant dans une villa vénitienne, sans pour autant le trahir, avec la complicité d’une équipe d’acteurs et de techniciens portés par la grâce.
L’argument : Konstantin, fils d’Irina, une actrice célèbre, monte dans le parc de la villa familiale une pièce de théatre qu’il a écrite pour Nina, la fille d’un notable du voisinage qu’il aime depuis l’enfance. Celle-ci suivra en ville l’amant d’Irina, Trigorin, un écrivain célèbre qui finira par l’abandonner. Deux ans plus tard...
Notre avis : C’est dans la magnifique villa Mantovani aux environs de Trévise que Bellocchio tourne pour la RAI, à la fin de l’été 1976, cette adaptation très fidèle de La mouette, (1895), sans se préoccuper outre mesure du décalage entre les noms et l’atmosphère russe de la pièce de Tchékhov et l’ambiance vénitienne du lieu. Et il a raison : l’osmose est parfaite. Les paysans italiens qui rentrent les chevaux ou chantent Pimpinella s’intègrent sans peine à l’univers du dramaturge.
- Il gabbiano (la mouette) - Marco Bellocchio 1976
Avec la complicité du chef opérateur Tonino Nardi, du scénographe Amedeo Fago et de la costumière Gabriella Pescucci, Bellocchio parvient à donner au décor une étonnante présence atmosphérique : l’eastmancolor magnifie cette campagne aux riches teintes automnales, remplie de bruits d’insectes et d’échos de travaux champêtres, et dont on croit percevoir l’air chargé d’humidité. La villa au bord d’une rivière, marquée par le temps, remplie d’objets qui à aucun moment ne semblent des accessoires, est un acteur du drame à part entière. Celui-ci est indissociable de ce lieu magique où les personnages, si parfois ils s’en vont, finissent toujours par revenir.
Pour donner vie à ces personnages tourmentés aux aspirations inmanquablement décues, le cinéaste a fait appel à la fine fleur des acteurs italiens de l’époque. Remo Girone, Konstantin fébrile et exalté s’identifia tellement au rôle que Bellocchio douta un moment de pouvoir finir le film avec lui. Giulio Brogi est un Trigorin dont le détachement apparent ne saurait cacher la félure. Pamela Villoresi dans le rôle de Nina - la mouette - est irrésistible de vitalité au début, poignante à la fin. La grande Laura Betti s’approprie le rôle de la terrifiante Irina, égoïste indestructible, avec l’autorité et le magnétisme qu’on lui connait. Mais tous les autres sont admirables, à commencer par Antonio Piovanelli et Mattia Pinoli qui, par leur sens du grotesque, viennent apporter ce soupçon de comédie qui rend le drame encore plus poignant.
Grâce à ces acteurs et au remarquable travail de montage de Silvano Agosti, qui joue subtilement sur l’alternance des vides et des pleins, des moments d’attentes et des brefs instants de paroxysmes, Bellocchio donne au texte de la pièce une respiration haletante.
- Il gabbiano (la mouette) - Marco Bellocchio 1976
Bien loin de n’être qu’une adaptation télévisuelle de plus d’un grand classique de la littérature, ce film , présenté au festival de Spolète le 2 juillet 1977, témoigne de l’ambition et du flair de certains producteurs de la RAI des années 70 qui n’hésitaient pas à faire appel à de grands metteurs en scène de théâtre et de cinéma et à leur donner les moyens de leurs ambitions. C’est ainsi que Ferreri a pu adapter Yerma de Garcia Lorca ou que Ronconi, après le légendaire Orlando furioso de 1974, s’attaqua à Six personnages en quête d’auteur de Pirandello. La rencontre Bellocchio - Tchékhov, particulièrement heureuse, démontre à quel point ce cinéaste sait s’approprier les grands textes sans pour autant les trahir. Le Pirandello de Enrico IV ou le Kleist de Il principe di Homburg ne l’éloigneront pas davantage de son univers bien personnel. La famille infernale de La mouette ressemble fort à celle de I pugni in tasca - Les poings dans les poches, et si le style du réalisateur est en apparence plus sage ici que dans ses éclatants premiers films, c’est néanmoins un prodigieux univers visuel et émotionnel qu’il parvient à faire exister à l’écran.
- Il gabbiano (la mouette) - Marco Bellocchio 1976
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