Ils ont fait un bébé tout seuls
Le 21 avril 2020
Présenté à Cannes en 2001, dans la sélection de la Quinzaine des Réalisateurs, le quatrième long-métrage de Ryōsuke Hashigushi avait à l’époque relativement plu. Les films du cinéaste sont, on le sait, très appréciés des festivaliers, friands de ce cinéma japonais pour lequel la durée est une dimension fondamentale et où un silence vaut toujours mieux qu’un long discours. Hush ! est, de fait, un film qui laisse le temps au temps : trop, peut-être...
- Réalisateur : Ryōsuke Hashiguchi
- Acteurs : Seiichi Tanabe, Kazuya Takahashi, Reiko Kataoka, Tsugumi
- Nationalité : Japonais
- Durée : 135 min.
- Titre original : ハッシュ!
- Date de sortie : 3 juillet 2002
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Résumé : Naoya (Kazuya Takahashi), trentenaire en quête de stabilité, réussit à rompre avec la solitude et l’insatisfaction lorsqu’il entame une relation avec Katsuhiro (Seiichi Tanabe), un jeune homme introverti qui a toujours caché son homosexualité. La seule ombre au tableau est qu’une de ses collègues de travail, Emi (Tsugumi), éprouve pour lui un amour secret qu’il n’ose pas décevoir tant il est touché par le handicap dont elle souffre. Asako (Reiko Kataoka), une jeune prothésiste solitaire, désespère quant à elle de sa vie sentimentale : condamnée à se satisfaire d’aventures d’un soir, elle finit par contracter une grave infection qui pourrait lui interdire de porter un enfant. Alors le jour où, à la sortie d’un restaurant, Katsuhiro lui prête son parapluie, elle décide, bien que consciente qu’il est gay, de le convaincre de la faire tomber enceinte. Il a, lui dit-elle, les yeux d’un père...
- Copyright : Euripide Distribution
Notre avis : Depuis son film précédent, Grains de sable, les personnages de Ryōsuke Hashigushi ont vieilli de dix ans : devenus plus adultes, ils s’interrogent désormais sur leur avenir, se demandent s’ils pourront surmonter leur solitude et fonder un foyer. Ils n’ont néanmoins rien perdu de leur instabilité psychologique et demeurent toujours dans une indécision chronique qui les paralyse toujours autant, mais qui trouve désormais sa source dans leur incapacité à faire coïncider leur mode de vie avec la définition traditionnelle de la famille.
Petite fièvre de trente ans
Le Japon s’est toujours efforcé d’associer tradition et modernité, à rendre compatibles les coutumes ancestrales et les mutations nécessaires de la société. A l’époque de l’insémination artificielle, du don de sperme, de la reconnaissance de l’homosexualité, rien d’étonnant donc à ce qu’un cinéaste comme Hashigushi parte en quête d’une nouvelle définition de la cellule familiale : qu’importe alors la vraisemblance de la trame, tant qu’elle peut aider à répondre à cette interrogation. « Je ne crois pas, dit-il, que ce genre de situation que je mets en scène dans Hush ! puisse se vivre dans la société japonaise d’aujourd’hui. Mais je veux montrer qu’on peut avoir envie de survivre et de surmonter ces épreuves ». Dans le film en effet, il est surtout question de solitude, de blessures toujours ouvertes et d’espoirs déçus : les personnages du cinéaste sont autant de marginaux que la vie et la société ont leurrés et meurtris. Avoir un enfant représente donc pour eux un nouveau départ dans l’existence, qu’ils n’osaient imaginer.
- Copyright : Euripide Distribution
C’est donc avant tout une leçon de tolérance et d’humanité que souhaite nous dispenser le réalisateur, en filmant sous l’angle de la normalité ce qui pour beaucoup ne va toujours pas de soi et en tâchant d’éviter avec, il faut le reconnaître, une certaine justesse, la caricature ou la facilité : ainsi, tout exemplaires qu’ils soient, ses personnages n’en sont pas moins des êtres humains avec leurs qualités et leurs défauts, leurs doutes et leurs certitudes. Ryōsuke Hashigushi brosse sans compromis le tableau de la société japonaise d’aujourd’hui, son indifférence, ses préjugés et son puritanisme, et dépeint, avec tout autant d’objectivité, la communauté homosexuelle, ses bars, ses excès, mais aussi toute son humanité. Le film est ainsi empreint d’un humour noir, presque cynique qui emporte la sympathie du spectateur tout autant qu’il refuse l’idéalisation et l’hypocrisie : de la mère envahissante à l’homosexuel extraverti ‒ et doté d’un humour assassin ‒ en passant par l’amoureuse éplorée ou encore la bourgeoise capricieuse, le cinéaste nous propose une galerie des personnages secondaires convaincants, égocentriques et névrosés à souhait. L’autodérision semble d’ailleurs être pour le réalisateur, qui n’a jamais caché la portée autobiographique de son œuvre, le moteur de cette remise en question, l’entreprise de doute nécessaire à toute introspection. « Il y a » dit-il « dans le cinéma japonais une tendance aux bons sentiments et à la compassion que j’ai en horreur... C’est une manière de ne pas affronter les problèmes, de se détourner de la réalité. »
Mise en scène de l’échec ou échec de la mise en scène ?
Mais l’ennui est qu’Hashigushi ne parvient pas, lui non plus, à aborder sa problématique de front. Car, à force de s’installer, le doute finit par ne plus pouvoir se dissiper, par ne plus pouvoir être tout simplement dépassé. La meurtrissure dont ont souffert le réalisateur et ses personnages semble les avoir réduits à vivre éternellement dans l’expectative. « Ils ne veulent pas de nouveau s’exposer à la douleur et à la tristesse. Peut-être ont-ils perdu le courage de faire un pas dans le désert », suggère le cinéaste, reconnaissant inconsciemment qu’il pose les bonnes questions, sans toutefois parvenir à y répondre, l’impuissance de ses protagonistes à prendre la moindre résolution semblant finalement symptomatique de son propre attentisme. Et on vient parfois à se demander si cette durée qu’il ne cesse de travailler, jusqu’à dilater exagérément ses scènes, ne serait finalement pas qu’une facilité esthétisante visant à se passer de véritable propos tout en s’assurant au passage les faveurs du public des festivals : un an, quatre saisons défilent ainsi sans que l’on n’assiste jamais ni à la moindre évolution ni même à un événement significatif.
- Copyright : Euripide Distribution
La trame ne se développant quasiment pas, le temps reste, pour ainsi dire, suspendu et ce que la caméra contemple en finirait presque par ne plus rien signifier. Et si dans les scènes d’exposition, le spectateur se prend parfois à sourire, plus le film s’étend, plus les scènes s’étirent en longueur, et moins son intérêt est stimulé par ce qui ne devient ni plus ni moins qu’une succession d’images fixes. Les rares moments de fantastique et de merveilleux – ce puits qu’habiterait un dieu et ce rêve prémonitoire – donnent l’impression de pièces rapportées, tant ils rompent de manière artificielle la monotonie de la trame : la croyance en l’animisme fait certes partie intégrante de l’imaginaire nippon, mais cette intervention de la providence relève assurément plus de la ficelle scénaristique qu’elle ne participe à l’élaboration d’une véritable réflexion. Les métaphores paraissent vides de sens et, en refusant, peut-être par snobisme intellectuel, de faire parler son film, Ryōsuke Hashigushi le condamne au mutisme le plus total.
Chut !
À force de vouloir laisser ouvertes les possibilités d’interprétation de son long-métrage, le cinéaste finit de fait par le rendre équivoque. En témoigne le titre même du film : que faut-il taire, se demande-t-on, et qui finalement demande le silence ? S’agirait-il des tenants de la morale, qui souhaitent empêcher que l’on parle de ce qui les dérange et bâillonner les êtres atypiques que décrit le film ? Le réalisateur adresserait-il une recommandation au spectateur, afin de l’inciter à ne pas manifester sa présence, sous peine d’être découvert, et à demeurer ainsi, dans l’obscurité de la salle de cinéma, à observer les moments d’intimité qu’il réussit à saisir sur sa pellicule ? Seraient-ce les protagonistes ‒ et par là même pour ceux qu’ils représentent ‒ qui se demanderaient mutuellement ‒ ainsi qu’aux personnes dans la salle ‒ de ne pas dévoiler aux autres leur désir de famille et d’enfant, afin sans doute d’éviter les problèmes liés à l’incompréhension ? Ou bien Ryōsuke Hashigushi nous inviterait-il encore à suspendre notre jugement pour la durée du film, à nous dispenser de nos réflexions, afin de pouvoir nous exposer librement sa vision personnelle de la question ? Ou tenterait-il, en réalité, d’imposer d’emblée le silence à un public qu’il devinerait gagné tôt ou tard par l’ennui ?
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