Le 14 mai 2018
S’installant dans un genre très codé, Fassbinder réalise une série didactique et humaine, et s’amuse à inventer une improbable galerie de personnages.
- Réalisateur : Rainer Werner Fassbinder
- Acteurs : Hanna Schygulla, Gottfried John, Luise Ullrich, Irm Hermann
- Genre : Drame
- Nationalité : Allemand
- : Carlotta Films
- Durée : 5x1h30
- Titre original : Acht Stunden sind kein Tag
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– Sortie coffret DVD et Blu-ray : le 25 avril 2018
– Année de production : 1972
Résumé : C’est soir de fête chez les Krüger-Epp, famille typique de la classe ouvrière de Cologne. Tous les membres du clan sont réunis pour fêter les soixante ans de la grand-mère, une veuve un peu fantasque qui vit chez sa fille, son gendre et son petit-fils Jochen. Alors que ce dernier est parti ravitailler la troupe en champagne, il croise sur son chemin la jolie Marion et l’invite à se joindre à eux. Ce sera le début d’une grande histoire d’amour entre cet ouvrier toujours prêt à lutter pour plus de justice sociale dans son usine et cette jeune femme moderne et émancipée qui travaille dans un journal local. Entourés par leur famille, collègues et amis, Jochen et Marion apprendront à partager ensemble les joies et les difficultés du quotidien…
Notre avis : Huit heures ne font pas un jour est, toute proportion gardée, à Fassbinder ce que La maison des bois est à Pialat : l’œuvre télévisuelle secrète, la pause dans la noirceur, la respiration inattendue. Et, de fait, alors que la plupart des films du réalisateur allemand s’engoncent dans des destins sombres , cette série « familiale » présente une face éclairée, largement utopique, qui se développe autour de trois générations, de la grand-mère espiègle au petit-fils ouvrier. S’inscrivant dans un genre très codé, les cinq épisodes ont toujours un titre sous la forme de deux prénoms (sur le modèle Jochen et Marion) et proposent à chaque fois un enjeu narratif principal, qui a des retentissements divers. Ils entremêlent savamment vie professionnelle et vie privée, les problèmes trouvant parfois leur solution d’un domaine à l’autre, dans des discussions annexes.
- © 1972 WDR / © 2017 RAINER WERNER FASSBINDER FOUNDATION POUR LA VERSION RESTAURÉE. TOUS DROITS RÉSERVÉS.
Mais si Fassbinder parle de thèmes quotidiens et crédibles, il le fait en respectant des codes et en particulier en s’assurant de dénouements heureux : toute péripétie (amour, divorce, problème de prime ou délocalisation) se résout, souvent sur une idée de deux femmes ingénieuses, la grand-mère pour les problèmes personnels, Marion pour les problèmes professionnels (elle incarne une conscience politique pleine de logique). Il faut bien le dire, cela confère à la série une certaine naïveté, qui lui a été beaucoup reprochée en son temps. Pourtant la volonté didactique affichée se sert de ces bons sentiments pour faire passer un message clair : à l’usine comme dans la vie courante, seule l’union peut triompher. Ainsi les ouvriers parviennent-ils à imposer leurs conditions en faisant bloc : voir la belle scène où le responsable n’est vu qu’entre les épaules de ses subordonnés. La série instaure de fait une manière de morale, guère inattendue dans les années 70, qui pourrait se résumer sous forme de tract : pour vivre heureux, luttons. Car si l’atmosphère générale, sans être euphorique, tient de l’optimisme, les obstacles sont nombreux, et les opposants pullulent : l’administration qui ne veut pas d’un jardin d’enfants, le mari qui refuse le divorce, l’escroc qui propose un rendement mirifique, le patron qui délocalise ou souhaite un contremaître externe, et d’une manière générale la société qui sème les embûches, par exemple dans la recherche d’un appartement. D’où la nécessité de prendre en charge les choses, d’être actif et contestataire : comme le dit la grand-mère, « si la ville ne veut rien faire, faisons-le nous mêmes ».
- © 1972 WDR / © 2017 RAINER WERNER FASSBINDER FOUNDATION POUR LA VERSION RESTAURÉE. TOUS DROITS RÉSERVÉS.
La représentation du monde ouvrier par Fassbinder a surpris lors de la diffusion de la série, et continue à étonner : pas de misérabilisme, pas d’édification. Ce ne sont ni des saints ni des abrutis alcooliques (encore qu’on boive beaucoup…) ; ils n’ont pas un langage relâché et finalement ressemblent énormément aux bourgeois des séries familiales traditionnelles. Ce qui n’empêche pas le racisme ou la trahison occasionnels. Autrement dit le cinéaste allemand a tenté de créer un univers cohérent sans caricature, mêlant les scènes de pure comédie (le père, en surjeu constant, incarne à lui seul cette tendance) à celles plus dramatiques, trouvant même des moments d’émotion particulièrement réussis. Pour autant, et même s’il sacrifie à l’abus de gros plans, il ne renonce pas à son ambition formelle : telle plongée verticale ou tel travelling soyeux dans l’usine rappellent son exigence perpétuelle (au passage, l’atelier semble dévolu au bavardage plus qu’au travail et, significativement, on ne le verra derrière leurs machines que quand ils prendront leur destin en main). Et, de manière moins attendue, il conclut souvent ses séquences par un zoom intempestif qui cadre un élément du décor ou un personnage secondaire. Cet artifice prend parfois une valeur d’ouverture, comme quand il saisit une serveuse qui se remaquille en regardant le couple des protagonistes s’embrasser : rêverie ? Jalousie ? Ce que cache ce regard énigmatique, nous ne le saurons pas, comme la promesse d’autres fictions possibles.
- © 1972 WDR / © 2017 RAINER WERNER FASSBINDER FOUNDATION POUR LA VERSION RESTAURÉE. TOUS DROITS RÉSERVÉS.
Comme dans beaucoup de ses films, Fassbinder interroge l’Allemagne, passée ou présente, et, même sur un mode moins pessimiste, il ne cesse de relever les failles de son pays. Que ce soit la situation des travailleurs, le racisme, le rejet du monde ouvrier, son regard aigu brosse un tableau plutôt noir, tout en le parant d’atours séduisants. Mais il semble qu’il réserve ses flèches au mariage, institution brocardée par des dialogues (ah ! Les commentaires des ouvriers et des parents quand Jochen leur annonce le sien !) et par des couples qui se séparent. Malgré l’espoir que représente le couple principal, on est loin d’une vision idyllique.
Il faut ajouter qu’à partir du moment où on commence à regarder la série, il est difficile de la lâcher : Fassbinder a réussi à créer des personnages attachants, souvent interprétés par des acteurs de sa « troupe », et sait les faire vivre collectivement, chacun ou presque ayant son moment de gloire. La cohérence jamais démentie fait passer quelques facilités scénaristiques et, les cinq épisodes avalés, on regrette que les trois autres projetés n’aient jamais été tournés.
- © 1972 WDR / © 2017 RAINER WERNER FASSBINDER FOUNDATION POUR LA VERSION RESTAURÉE. TOUS DROITS RÉSERVÉS.
Les suppléments :
Dans le documentaire récent sur la série, divers intervenants d’hier ou d’aujourd’hui reviennent sur la genèse, le travail de Fassbinder et, plus intéressant, sur la réception (fiction de gauche ou pas ?), qui nous renvoie à une époque lointaine (40mn). D’autre part, avec le coffret, un livret de 36 pages très informatif replace dans le contexte la série, la relie à d’autres films ouvriers. Malgré quelques redites, on apprendra beaucoup de ces textes denses qu’un utile résumé complète.
L’image :
La restauration 2K permet de voir la série dans les meilleures conditions : pas de parasites (ou vraiment très peu), images et couleurs stables, grain léger. Évidemment, les outrages du temps et les conditions télévisuelles ne peuvent être effacés mais la copie est particulièrement propre.
Le son :
Là encore, le travail soigneux rend une belle lisibilité aux dialogues, capitaux, et la seule piste VO DTS-HD Master Audio 1.0, débarrassée de toute scorie, donne une belle présence à ces voix nombreuses. Certains passages sont affublés d’un léger souffle sans conséquence.
- © 1972 WDR / © 2017 RAINER WERNER FASSBINDER FOUNDATION POUR LA VERSION RESTAURÉE. TOUS DROITS RÉSERVÉS.
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