Le 16 janvier 2019
Dada Masilo danse en mode dynamo une Giselle tribale made in pays Bantoue. Elle dynamite le mythe. Son ballet piétine le livret de Théophile Gautier et Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges. Son foulage ôte l’amertume de cette triste histoire et y ajoute des notes exotiques d’Afrique du Sud.
- Genre : Opéra, ballet & danse
- Plus d'informations : Le site de la Villette
L'a vu
Veut le voir
Notre avis : Giselle est un prénom connu de la famille des grands ballets qui font l’affiche des scènes mondiales. Un classique comme on dit, dont la notoriété dépasse le monde de la danse, comme le lac des cygnes. Donné pour la première fois en 1841 à l’académie royale de musique, ce ballet raconte la terrible et mortelle déception d’une femme amoureuse. Trompée par Albrecht, son amant noble, Giselle, femme de condition modeste, décède de souffrance en découvrant que celui qu’elle aime est mariée à Bathilde. Magiquement, son âme fantomatique rejoint les wilis, un aréopage de vierges sous la domination de la déesse Myrtha. La gynécée vengeresse décide du trépas du malotru, mais celui-ci sera finalement épargné dans un sursaut de bonté de la défunte. La mort de Giselle et le sursis d’Albrecht ont du révolter la chorégraphe qui en a arrangé l’intrigue différemment. A sa sauce.
Sur le plan narratif, elle prend plusieurs libertés avec le livret dont certaines sont celles d’un manifeste moderne pour un monde plus juste, où les femmes ne seraient pas toujours des victimes et les hommes systématiquement innocentés de leurs méfaits.
Le premier acte s’ouvre sur la projection d’un grand dessin de marécage qui fait décor. La scène est tropicalisée sur fond de bayou. La différence de classes entre les amants est transposé dans une communauté d’esclaves affranchis. C’est évidemment plus raccord avec cette troupe entièrement noire. La transposition, si elle est confortable, pose quand même question puisqu’elle dépasse largement l’exercice de traduction ou même d’adaptation. On se croirait à la nouvelle Orléans et les quelques conversations de la troupe se tiennent en anglais. A quand la Bohème en kiswahili ? A quand un Afro-Américain en jogging peint en place de Bonaparte à la manière de Géricault ?
- © John Hogg. Tous droits réservés.
Dada Masilo, en tant que danseuse, a bien sa place au centre de sa troupe. Cette petite femme électrise la scène par son dynamisme. Ses gestes nerveux et précis donnent à sa chorégraphie, une accélération, comme si en plus de la performance du geste s’ajoutait celle de la vitesse d’exécution. L’énergie qu’elle déploie témoigne d’un feu intérieur, d’une charge magnétique, qui la distingue. Comme un colibri, cette black Giselle séduit black Albrecht et l’hypnotise par les frénétiques battements de ses bras. Ceci n’empêche pas la danse aux seins nus de sa déception, puis son trépas.
Au second acte, qui est bien meilleur sur tous les plans, la reine et certaines des wilis sont dansées par des hommes. Une substitution des genres que la chorégraphe avait déjà proposée dans d’autres adaptations. Là aussi, il s’agit de dénoncer la répression contre la liberté sexuelle qui va dans le monde entier et particulièrement en Afrique d’où est Dada, du mépris jusqu’à l’assassinat.
Dans le second acte, l’énergie y est plus sensible, l’intrigue plus dramatique, l’esthétique mieux choisie. Un très grand danseur dans une robe de tulle sang de bœuf, agite le fouet de ses nattes de cheveux en faisant claquer le fouet du sorcier. La magie romantique 19ème est reliée à la magie africaine. Le ballet de cette partie est réussi, probablement parce qu’il s’éloigne plus encore de l’original. Sa Giselle de l’au-delà ne sursoit finalement pas à la vengeance de Myrtha et revient à la vie contrairement à l’intrigue initiale. Cette vision sonne comme un souhait de l’artiste sur les rapports humains. Coups de pied de nez au drame.
De la musique d’Adolphe Adam, Philip Miller a sur-imprimé sur son écho, d’intéressantes percussions et quelques bruitages bien sentis. La partition originale a, elle aussi, pris un coup de chaud si l’on peut dire. C’est intéressant mais finalement que reste-t-il d’autre qu’un titre de ballet qui cherche à accrocher son public ? Si la cause défendue de cette réécriture nous semble juste, le procédé l’est-il ? On se demande si l’intérêt créatif suffit à justifier la transformation. On hésite...
On peut se demander ce qui motive la chorégraphe dans cette appropriation de la culture classique en la dénaturant sous prétexte de la vitaliser à sa manière ? Il est possible que cette question n’en soit pas une pour qui est née à Johannesburg et a appris la danse à Bruxelles. Cette œuvre est peut-être la seule naturelle qui puisse exister dans ces conditions et qui fait naître un autre continent de la danse, entre Afrique et Europe.
Dada Masilo est née à Johannesburg, en Afrique du Sud. À l’âge de onze ans, elle commence sa formation de danseuse. À dix-neuf ans, elle intègre les Performing Arts Research and Training Studios de Bruxelles, dans lesquels elle reste deux ans. Elle retourne en Afrique du Sud et est récompensée, en 2008, du prestigieux Standard Bank Young Artist Award pour la danse.Trois commandes du National Arts Festival donnent naissance à Roméo et Juliette (2008), Carmen (2009) et Swan Lake (2010). Depuis 2012, ses pièces ont beaucoup tourné à travers l’Europe, et depuis 2016, aux États-Unis et au Canada. Swan Lake a également été jouée à Singapour.
En mai 2017, Giselle est créée à Dansens Hus (Oslo). Elle a depuis été jouée à Kuopio (Finlande), à ImPulsTanz – Vienne (Autriche), en Suisse et en Italie.Dada Masilo a également collaboré avec William Kentridge dans son Refuse the Hour.
Elle a été nominée pour le Bessie Award en 2016 pour Swan Lake, a reçu le Danza & Danza Award pour la Meilleure Performance 2017 (Giselle) et le Prince Claus ‘Next Generation’ Award 2018.
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.