Le 25 janvier 2016

- Réalisateur : François Delisle
Le réalisateur François Delisle, révélation confirmée du cinéma québécois, revient pour aVoir-aLire sur son cinquième long-métrage : CHORUS. Le metteur en scène du Météore ou de 2 fois une femme, y dépeint un drame inspiré qu’il veut histoire d’amour avant tout.
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Le réalisateur François Delisle, révélation confirmée du cinéma québécois, revient pour aVoir-aLire sur son cinquième long-métrage : CHORUS. Le metteur en scène du Météore ou de 2 fois une femme, y dépeint un drame inspiré qu’il veut histoire d’amour avant tout. Si sa poésie paraît sombre, l’artiste est lumineux.
aVoir-aLire : CHORUS était pour vous un vieux projet, auquel vous pensiez avant même d’avoir réalisé 2 fois une femme (2010). Comment avez-vous mûri cette idée ?
François Delisle : J’avais le désir d’approcher le thème de la perte et de la réconciliation. L’histoire de ce couple (NDLR : qui se retrouve plusieurs années après la disparition de leur enfant) m’est venu rapidement, mais comme le thème n’était pas évident, je me suis laissé le temps de trouver le bon angle. Et puis j’ai chercher un peu trop, quitte à me perdre ! (Rires) J’ai réalisé quelques films, puis la version finale de CHORUS a jailli presque soudainement. Je pense que j’avais besoin de laisser reposer une idée aussi forte, pour pouvoir la rendre belle.
Votre film marque par son élégance et sa sobriété, notamment car vous mettez en scène une tragédie très forte, sans verser dans le sordide ou le pathos. Comment êtes-vous arriver à filmer cette détresse muette ?
Ce qui m’importait le plus dans ce film, c’est l’histoire d’amour entre cet homme et cette femme. Mon intention n’était pas nécessairement de me porter vers le drame mais sur la réunion de ces deux êtres qui allaient se reconnecter de manière très momentanée. Tout le monde autour du projet était raccroché à ce sentiment d’amour, qui survit malgré la présence de la mort. Alors, on reste tout de même loin de Love Story ! (Rires) Mais c’est cette vision qui a pu nous préserver d’un pathos trop lourd à l’écran.
On observe au début du film la peine de la mère à Montréal, et celle du père au Mexique. De ces lieux absolument opposés, ressort une ambiance parfaitement harmonieuse. Pourquoi ce choix ?
Oui, ils sont tous les deux dans le même état, mais pas au même endroit. Le film se construit toujours sur deux pôles : l’homme, la femme, le noir, le blanc, le chaud, le froid, … Ce système de dualité a donné toute la dynamique qu’on a vécu avec les acteurs en plateau. Le Mexique s’est imposé, car s’est un endroit de prédilection pour se sauver, s’abandonner. Nous étions loin des coins touristiques, plutôt dans le côté pauvre, peu développé, où la jungle domine. L’endroit idéal pour quelqu’un qui veut vivre d’amour et d’eau fraîche en tout anonymat.
Justement, pourquoi ce choix du noir-et-blanc ? Pour souligner l’envoûtement du deuil, ou se concentrer uniquement sur les acteurs en effaçant le décor ?
Alors, il y a un peu de tout ça. Mais cela crée surtout un filtre cinématographique pour le spectateur. Le noir-et-blanc nous permet d’absorber certains éléments de façon plus respectueuse. Il y a une forme de douceur dans le noir-et-blanc qui fait qu’on est peut être moins confronté à l’horreur. Cela m’a permis d’établir une distance - non une distance froide – mais une distance liée à l’affection et à la pudeur que j’avais envers le couple.
Les performances de Fanny Mallette et Sébastien Ricard sont d’ailleurs remarquables. Quelles étaient vos exigences au moment de choisir les acteurs qui allaient interpréter ce couple ?
Je connaissais déjà Sébastien d’un ancien tournage. J’observais alors le film se faire de jour en jour, et j’ai découvert cet acteur - assez populaire ici car il est chanteur dans un groupe de rock - qui s’est alors rapidement imposé à moi, comme une évidence. Cela s’est passé de manière plus classique pour Fanny - qui connait une belle filmographie ici – que j’ai auditionné. Puis le choix n’a vraiment pas été long à faire ! Il n’y a pas eu tant de préparations que ça, j’étais constamment à côté d’eux, et une aisance, une belle symbiose, s’est créée entre nous trois. Le résultat est même au-dessus de mes espérances !
Ce titre, CHORUS, cette voix-off si particulière, les chants de la chorale qui sont omniprésents… La polyphonie est une notion important dans le film ?
Tout à fait. La musique est pour moi un personnage, une voix. On parlait de dualité : on suit les protagonistes, qui ne sont pas forcément au même niveau émotionnel. Chacun « monte » ou « descend » à son propre rythme ; on observe presque une désynchronisation, comme dans la musique. Puis les chants d’une chorale sont un mystère pour moi. Comment ces voix variées, en désaccord, arrivent-elles à former une harmonie, proche ici du jazz moderne. Ce côté polyphonique se mariait bien avec le parcours des deux personnages qui vont se reconnecter avant de poursuivre leurs vies. Comme des destins parallèles qui se touchent, s’éloignent et reviennent – et cela revient à de la musique pour moi.
D’où ce concert final de rock’n’roll ?
Je voulais revenir à la réalité du moment avec ce groupe de rock, qui marque le renouveau dans les trajectoires des parents. Ces personnages, qui ne vivaient jusqu’à lors que dans le passé, se retrouvent dans le moment présent, au milieu d’une salle remplie de jeunes de l’âge de leur enfant. C’est un passage temporel important pour eux, et le rock’n’roll, c’est cela, c’est le présent. Les deux parents peuvent alors recommencer à vivre.
Propos recueillis le vendredi 15 janvier 2015