Dandies, cocktails et révolution
Le 12 novembre 2003
Les petits frères de Tony Curtis et Roger Moore se chamaillant la recette d’un cocktail sur fond de révolution islamique et de tir de mitrailleuse... Fin de party, ou Amicalement vôtre à Téhéran.
- Auteur : Christian Kracht
- Editeur : Denoël
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Allemande
L'a lu
Veut le lire
Téhéran, 1979. Année de la chute du Shah. Tout commence dans un hôtel. Le narrateur, décorateur allemand, conseille à son petit copain de prendre du repos et de ne pas l’accompagner à la fête qui se donne ce soir, dans la villa d’un ami. Après s’être querellés à propos d’un pli de pantalon qui "fait un effet hideux" et une paire de sandales "pied de nez à la bourgeoisie", le couple se rend finalement à la fête. Ils traversent la ville en écoutant Blondie, se réconcilient entre deux barrages de soldats, et se trémoussent sur des airs d’Ink Spot parasités par le bruit des chenilles des tanks. Pendant tout le roman, le décorateur en balade se fait tantôt chambrer par Christopher, plus cultivé que lui, tantôt sermonner par un Roumain révolutionnaire, un ambassadeur déchu, ou un patron de café. Et c’est toute la force de Fin de party : parfois cruel et immoral, mais toujours drôle, Christian Kracht joue la carte du contraste. Rien n’atteint ou ne touche le décorateur, si ce n’est un poster de Téhéran accroché de travers dans sa chambre d’hôtel ou une moquette grise qui gondole de façon hideuse. Les choses glissent sur lui, sans jamais le heurter. Son petit copain décède, il va passer une petite heure à son chevet et se poser quelques questions existentielles : Qu’est ce que la vie ? Etre jeune, qu’est-ce que ça veut dire ? Que sont devenus mes muscles ? Puis-je inverser le cours des choses en faisant du sport ? Il sera déporté dans un camp de travail chinois. Soit, c’est bon pour la ligne. Il est probable que pour lui, la mort n’ait pas plus de signification qu’un Blue Lagoon.
Par le choix de la première personne, l’auteur ne prend jamais parti et se contente de décrire le monde et les manières parfois odieuses de son personnage, à tel point qu’on se demande même si tout cela n’est pas finalement un peu léger, si on va réussir à tenir la distance, s’il y a véritablement un sens à tout cet humour déplacé. Ou simplement si la dérive de ce pantin chaussé d’une paire de Berluti (les plus belles chaussures au monde) qui vont se désagréger au fur et à mesure de son périple, va nous mener, nous, quelque part. La réponse est non. Et c’est pourtant ce qui est remarquable dans ce court roman, l’ironie de la légèreté dans toute sa splendeur peut parfois être grave, pesante. L’auteur ne tombe jamais dans la critique facile et pousse sa logique jusqu’au bout. Il laisse intelligemment se déliter le monde tel qu’il est, il le laisse s’autodétruire, s’annihiler sous sa plume précise, sans intervenir. L’écriture élégante, pure, le style tranché concourent à la mise en scène d’une ambiance chic et décadente. Une prose émaillée de décoration intérieure.
Entre fresque d’un pays en guerre et petites préoccupations de dandys en goguette, Fin de party rappelle un Bret Easton Ellis dans l’humour et la fascination de l’habillement et de la décoration, mais sans name dropping à outrance, non, sans vulgarité beigbéderienne, de manière beaucoup plus british. Ce pantin qu’est le décorateur n’est que le témoin d’un combat qui, en 1979, ne fait que commencer, celui qui oppose l’Amérique des bulles et des sodas aux fondamentalistes du Moyen-Orient.
Christian Kracht, Fin de party (1979, traduit de l’allemand par Philippe Giraudon), Denoël, 2003, 192 pages, 18 €
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.