Le 9 juin 2024
- Scénaristes : Bruno Lecigne>, Sylviane Corgiat>
- Dessinateur : Jean-Côme
- Genre : Historique
- Editeur : La Boîte à bulles
- Famille : BD Franco-belge
- Date de sortie : 2 mai 2024
Un regard très documenté sur les travailleuses de la soie dans la France rural du début du XXe siècle.
Résumé : La filature familiale de Louis Bouscaret s’appuie essentiellement sur le travail de jeunes filles, orphelines ou en quête d’un nouveau départ, pour faire tourner son usine et payer ses ouvrières à moindre coût. Son usine-pensionnat, située dans la Drôme provençale, fait régner une discipline de fer : les brimades sont fréquentes, les « amendes » pleuvent pour des motifs bien maigres et aucune forme de contestation n’est tolérée par les religieuses qui surveillent l’usine. C’est dans cet espace quasi-carcéral qu’arrive Henriette, une jeune femme qui cache son visage derrière sa chevelure et dont une épreuve de la vie l’a conduit ici. Mais Henriette a du caractère et, avec l’appui d’autres arrivante, dont la petite Rose qu’elle prend sous son aile, elle est bien décidée à remettre en question l’autoritarisme en vigueur au sein de l’usine. Il faut dire que derrière leurs dehors bourgeois, les Bouscaret sont en difficulté : le fils cadet, Hippolyte, revient après une mystérieuse disparition tandis que l’économie de l’entreprise est mise à mal par la concurrence étrangère…
Critique :C’est une page méconnue de l’histoire ouvrière de la France que Fileuses de soie nous fait découvrir à travers le portrait de l’usine Bouscaret. Outre les centres urbains, l’industrialisation qui transforme la France au XIXe siècle touche également les campagnes, où les ouvriers sont généralement moins syndiqués et où la législation sur le temps de travail n’est pas toujours respectée… surtout lorsque l’on emploie des femmes en situation de précarité sociale. Avec son intrigue centrée sur Henriette, accompagnée par Rose puis par Suzanne, Fileuse de soie dresse un beau portrait de femmes ouvrières à qui l’on offre une fausse charité : en échange d’une « éducation » – comprendre, un lit dans un dortoir miteux et du pain avec la promesse d’un mariage à venir –, ces jeunes femmes se retrouvent corvéables à merci par un patron qui use jusqu’à la corde de sa fibre paternelle. Difficile pour ces jeunes femmes de se rebeller dans ces conditions : licenciées, elles perdent également leur toit.
- © Sylviane Corgiat, Bruno Lecigne, Jean-Côme / La Boîte à bulles
L’intrigue imaginée par Bruno Lecigne et Sylviane Corgiat est plaisante et évite d’être larmoyante. On suit aussi bien les patrons que les ouvriers. On comprend au fil des pages que Henriette, Rose et Suzanne sont arrivées à l’usine en raison d’accidents de la vie différents (adultère, décès d’un parent…) qui témoignent de la précarité sociale des situations des femmes du peuple de cette époque. Du côté des patrons, le récit tourne autour du retour d’Hippolyte, dont la simple présence suscite une tension chez les patrons, en raison d’un événement passé… L’histoire se tient également à un tournant dans l’histoire de la conception de la soie, avec le développement de la soie synthétique : à cet égard, l’usine Bouscaret incarne l’ancien monde, en voie de disparition. Le récit n’épargne pas ses personnages, et non montre la violence du monde de l’usine, où l’on se blesse et où l’on peut mourir, tant les conditions de vie et de travail sont dures.
Sur le plan graphique, Jean-Côme Garcette opte pour un trait simplifié pour représenter les décors et les personnages. On reconnaît bien les paysages propres au Sud de la France – et son soleil incarné sur les planches par les nuances de jaune et de orange – et au monde de l’usine. Quelques planches en pleine page apportent une respiration dans ce récit de 130 planches auxquelles s’ajoutent un intéressant carnet historique, qui nous éclaire sur les usines-pensionnats et le travail industriel dans le monde rural. Le récit, qui plaira sans aucun doute aux amateurs de bande dessinée historique soucieux de réalisme, donne à juste titre une place aux femmes, trop souvent oubliées dans l’histoire ouvrière française.
144 pages – 24 €
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