Le 14 avril 2025
Aborder la question des abus sexuels dans l’Église est loin d’être aisé. La réalisatrice y parvient avec brio, dans une langue cinématographique dépouillée qui, par bien des aspects, rappelle le cinéma de Pialat. Un film saisissant.


- Réalisateur : Cheyenne Carron
- Acteurs : Johnny Amaro, Leslie Tompson, Cécilia Assoun, Alexandre Triaca
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Distributeur : Hésiode Distribution
- Durée : 1h33mn
- Date de sortie : 16 avril 2025

L'a vu
Veut le voir
Résumé : Le père Paul, jeune prêtre solaire et charismatique, mène son ministère avec enthousiasme. Souvent sollicité, il ne ménage pas ses efforts pour être disponible et répondre aux multiples sollicitations des paroissiens. Jusqu’au jour où sa vie bascule : il est accusé d’avoir eu des gestes déplacés envers une jeune fille. Il devra se battre pour démontrer son innocence.
Critique : Le père Paul est un homme pour le moins disponible. Il reçoit chacun comme il est, qu’il s’agisse d’enfants, d’hommes accusés de viols contre sa fille ou encore de prostituées qui tentent de se racheter une cause. On pense évidemment dans cette figure charismatique au père Jacques, sauvagement assassiné, que la réalisatrice Cheyenne-Marie Carron avait représenté dans son dernier long-métrage Que notre joie demeure. La cinéaste s’attaque ici à la question très complexe des abus sexuels dans le monde de la prêtrise, après le très flamboyant film de François Ozon Grâce à Dieu. Mais la langue de la réalisatrice s’écarte de tout voyeurisme, de tout éclat, pour aller au cœur d’un drame où victimes, accusatrices et coupables, même encore innocents, se débattent dans un désarroi insupportable.
- Copyright Hésiode
L’Agneau a enfin obtenu des financements plus importants que les œuvres précédentes de Cheyenne-Marie Carron. La photographie est très belle, très pure, dans des couleurs assez sombres qui témoignent de la détresse du personnage principal emporté dans des accusations d’attouchements et de tentative de viol. Les décors, eux aussi très austères, illustrent à leur tour le destin d’un homme d’Église, au service des autres, mais qui passe ses jours dans une solitude assez désarçonnante. La mise en scène, volontairement dépouillée, ne tente aucun parti pris, laissant le doute flotter sur la tête de cet homme que tout porterait à croire qu’il n’est pas coupable. Mais la réalisatrice le sait : l’habit ne fait pas le moine, et il y a véritablement, derrière l’accusatrice, une souffrance qui attend de la justice une réparation.
Cheyenne-Marie Carron a franchi un pas supplémentaire dans l’art du cinéma. Elle aborde la mise en scène avec à la fois une très grande maîtrise et un sens véritable de l’image. Si elle travaille depuis des années sur un cinéma assez orienté, elle offre un spectacle de la vie humaine qui transcende le fait d’être croyant ou non. En effet, le film retrace le drame d’un homme qui se retrouve accusé d’un délit à caractère sexuel. Il pourrait être enseignant, éducateur social, magistrat, il est prêtre. L’identification fonctionne immédiatement alors même que derrière les accusations, il y a une jeune femme, une presque adulte, qui a subi le pire. Alors, où se trouve la vérité ? On pense au long métrage Le fil de Daniel Auteuil, qui décrivait avec cruauté la frontière invisible entre le mensonge et le vrai, dans un procès terrifiant. Cheyenne-Marie Carron choisit de ne pas faire de son récit une enquête policière ou judiciaire. Elle est intéressée par le chaos intérieur de son protagoniste qui, il faut absolument le clamer, pourrait être coupable.
- Copyright Hésiode
Le récit restitue (enfin) une position juste de l’Église de France. Les autorités par le biais de l’évêque ne cherchent pas à étouffer les faits. L’évêque prend le parti de la victime et dénonce les choses auprès de la procureure de la République. Cette position est louable, dans un contexte où hélas, depuis des années, l’univers de l’Église a tu des crimes contre des enfants. Le scénario a même le courage de citer les méfaits de l’abbé Pierre dont la culpabilité ne fait aucun doute. En ce sens, L’Agneau n’est pas un plaidoyer pour ou contre l’Église. La réalisatrice dresse un discours de vérité, où elle tente de conjuguer la prise en compte des victimes et le droit à la présomption d’innocence, d’où cette double métaphore de l’agneau chétif qui peut se retrouver dans les traits d’un enfant abîmé par un crime sexuel ou d’un prétendu auteur faussement accusé.
On espère maintenant que le film trouvera des salles pour lancer les débats sur la question très complexe des agressions sexuelles par les hommes d’Église. En effet, Cheyenne-Marie Carron use d’un langage cinématographique complètement abouti. Elle met en scène l’acteur Johnny Amaro qui se drape dans son personnage avec une sincérité et une authenticité remarquables. Le comédien exprime toutes les émotions possibles chez un être humain, depuis l’empathie jusqu’au doute, en passant par le désarroi le plus total. Voilà un cinéma qu’il faut défendre haut et fort, et porter le plus longtemps possible dans l’obscurité réflexive des cinémas.