Il en était fier de ce petit bouquin, le père Gainsbourg ! Ça oui ! Evguénie Sokolov [1], publié en 1980 chez Gallimard, ça en jette ! Ça voulait dire aussi qu’on lui reconnaissait un véritable talent d’écrivain. La peinture n’avait pas voulu de lui ? Pas grave. Le narrateur de ce "conte parabolique" sera peintre. La petite vengeance se déguste froide. Mais un peintre un peu particulier, qui va utiliser ses problèmes gastriques et ses flatulences pour confectionner des "gazogrammes" s’arrachant à prix d’or.
On retrouve dans ce roman les thématiques obsessionnelles chères à Gainsbourg. La notoriété de Sokolov, dandy magnifique, égale rapidement celles des peintres adorés du chanteur, Klee, Picabia ou Bacon. Mais ce qui frappe le plus, c’est la recherche littéraire entreprise par Gainsbourg. L’écriture de ce roman aura demandé six ans de travail à son auteur ! Un style finement ciselé, où chaque terme est rigoureusement choisi : "J’acquis ainsi la réputation d’un séducteur inconstant, désinvolte et cynique, mais las d’œuvrer sur des partenaires moyennement réceptifs à mes soins, ou atteints d’anaphrodisie sodomique, Evguénie, pas par là, salaud, j’en vins à trouver plus de satisfaction auprès des call-girls et boys qui s’inquiétaient de mon plaisir sans que j’eusse à me préoccuper du leur, poules grasses et gitons imberbes que je prenais parfois en groupe par un besoin, ma sensibilité s’étant vite émoussée, de caresses de mains aux doigts surnuméraires."
Sans doute Gainsbourg souhaitait-il s’inscrire dans la lignée de la prose du Lolita de Nabokov et dépasser le cadre de la chanson qu’il a toujours décrite comme un "art mineur". Cette exigence littéraire, on la retrouve également dans les scénarios de l’artiste [2]. Le public lui préféra toujours ses albums. Cela n’ôte rien à l’originalité et à la qualité de ce très court roman, qui fait désormais partie intégrante de son œuvre. Un texte pour s’aérer l’esprit !