Formation et formatage en école de commerce
Le 12 janvier 2021
Un journaliste analyse la formation des écoles de commerce, en interrogeant plus d’une centaine d’étudiants qui ont suivi ce parcours. Lui-même ancien élève avant d’intégrer une école de journalisme, il livre une enquête passionnante sur un système de formation pensé pour servir le capitalisme.
- Auteur : Maurice Midena
- Collection : Cahiers libres
- Editeur : La Découverte
- Genre : Enquête
- Nationalité : Française
- Date de sortie : 7 janvier 2021
- Plus d'informations : Site de l’éditeur
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Résumé : Que se passe-t-il lorsqu’on devient étudiant en école de commerce en France ? Maurice Midena détaille le processus qui transforme des jeunes ambitieux en des manageurs formatés.
Critique : L’univers des grandes écoles est spécifique à la France. Souvent issus de classes préparatoires, les élèves les plus adaptés au système scolaire peuvent prétendre aux concours des prestigieuses institutions : Ecole Normale Supérieure, Polytechnique ou encore les écoles de commerce de type HEC ou ESSEC.
Si, dans l’esprit de beaucoup, il s’agit là des voies d’excellence afin de former les élites, les études commerciales sont souvent celles qui sont prises par défaut, pour les élèves qui ne savent pas vraiment quoi faire, sinon « réussir ». C’est par cette déconstruction que commence ce livre, qui en contient beaucoup d’autres, tout aussi vraies et pertinentes.
Le slogan repris pour le titre de cet ouvrage « Entrez rêveurs, sortez manageurs », était celui d’une campagne de publicité de l’INSEEC, en 2018. Assumer ce cynisme, c’est afficher clairement l’objectif : former celles et ceux qui se plieront demain aux impératifs des entreprises. Pour cela, il faut déjà accepter l’esprit « familial » qui va régner dans l’école : proximité avec les professeurs, engagement associatif au sein du cursus et surtout la « coolitude » qui va régner pendant ces quelques années.
En effet, l’effet de groupe y est primordial tout comme le lâcher-prise, au point parfois d’en devenir dangereux. Les bizutages excessifs, les open bars, les obligations de participation aux soirées, les conquêtes à afficher… tous les excès sont non seulement permis, mais parfois même encouragés par le système de l’école.
La précision avec laquelle Maurice Midena détaille ce processus insidieux de formatage des esprits souligne le sérieux de son enquête : loin de se contenter de raconter sa propre expérience ou de reprendre les articles sulfureux publiés sur les drames des bizutages, il a interrogé de nombreux étudiants ou anciens étudiants, dans différentes établissements, issus de parcours divers. Ce travail permet ainsi d’aborder toutes les caractéristiques des écoles de commerce, de la sélection induite par les concours aux enseignements, en passant bien sûr par les soirées et les associations. L’auteur raconte comment on apprend aux étudiants à adopter une posture de manageurs, souvent par le jeu, sans que ceux-ci n’en soient d’ailleurs toujours conscients Il y explique aussi comment tout est organisé, le but étant d’affirmer que la scolarité est désormais un mauvais souvenir pour celles et ceux qui se retrouvent en école de commerce : après les efforts importants fournis en classes préparatoires, il est temps pour eux d’entrer dans la cour des grands.
Le livre indique également que l’enseignement agit comme une véritable entreprise de « déscolarisation en milieu scolaire » ; il s’agit ainsi de l’une des seules formations où les notes n’ont aucune importance. On prépare les esprits à intégrer une entreprise, en les éloignant des cours, tout en garantissant des à-côtés ludiques en guise de compensation.
La qualité de l’enseignement est d’ailleurs mise à mal par de nombreux témoignages, où les élèves ne voient que du vent, du « bullshit », selon l’anglicisme répandu dans ces écoles. On repère aussi l’importance des réseaux et des associations, en fait, tout ce qui englobe les cours dans la vie des étudiants et qui constitue l’essentiel de leur formation. A l’inverse d’une école classique, ce n’est pas l’enseignement qui forme ces futurs cadres, mais bien tout ce que l’on trouve à côté et qui occupe davantage les étudiants. Les inégalités demeurent, dans une ambiance sexiste assumée, où l’entre-soi vaut mieux que la remise en cause d’un système qui a fait ses preuves.
Malgré la description des effets néfastes de ces établissements, ce livre n’est pourtant pas à charge contre le système. L’auteur y loue l’efficacité d’arriver au but recherché, à savoir servir un monde capitaliste néolibéral. Il ne s’agit pas de remettre en cause cet apprentissage, simplement d’en révéler tous les aspects. L’enquête est démonstrative, sans être négative ou laudative. La prise de conscience d’un tel fonctionnement suscite cependant une interrogation sur la nécessité ou non de perpétuer un tel modèle, dans un monde où les conséquences du capitalisme sont de plus en plus critiquées.
Maurice Midena nous immerge dans un univers seulement connu par ceux qui l’ont vécu et démythifie ainsi ces grandes écoles, loin de tout populisme. La justesse de sa démonstration tient dans le sérieux de son travail. Son écriture journalistique en rend la lecture aisée.
256 pages
20€
Epub : 12,99€
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