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Le 14 juillet 2009
Subtil et déterminé, le très prometteur Xavier Dolan évoque son travail et sa réflexion effectués pour son premier film, J’ai tué ma mère.

- Réalisateur : Xavier Dolan

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Subtil et déterminé, le très prometteur Xavier Dolan évoque son travail et sa réflexion effectués pour son premier film, J’ai tué ma mère.
aVoir-aLire : Vous êtes le scénariste, producteur et réalisateur de votre film. Comment avez-vous su gérer ces trois casquettes à la fois ? Etait-ce un choix volontaire ou une conjoncture nécessaire à votre projet ?
La précarité financière du film a fait fuir le producteur et le distributeur qui étaient associés au projet à l’origine. J’ai donc décidé de m’occuper moi-même de trouver l’argent, investissant toutes mes économies, sollicitant l’aide de ma famille, de mes amis. Quant à la réalisation, je n’imaginais personne d’autre que moi dépeindre la réalité de laquelle je suis né. Je ne voulais pas que mon histoire soit travestie, même avec ce que cela comporte de trouvailles ou d’avantages, par la vision d’un autre.
Vous vous êtes autoproduit. S’agissant d’un premier film, comment avez-vous organisé le financement ?
Je me suis entouré d’administrateurs et de gestionnaires de production chevronnés. J’ai vite conclu des ententes avec un producteur associé, Daniel Morin, et d’une productrice déléguée, Carole Mondello, qui ont fait des miracles. Il serait injuste de prétendre que mon titre de producteur, à l’exception de quelques droits dont je me prévalais, transcendait la vulgaire signature de chèques... Bien sûr, il fallait prendre des décisions importantes, faire des sacrifices... Mais artistiquement, chaque concession résultait immanquablement de la prononciation de cette phrase idoine pour justifier les dépenses extravagantes : « Vous le déduirez de mon salaire. »
Diriez-vous que votre film s’adresse à votre mère ? Est-ce une façon de lui témoigner, de votre point de vue, les moments que vous avez vécu ?
Non.
Comment avez-vous choisi Anne Dorval qui incarne votre mère à l’écran ? Que recherchiez-vous comme qualités chez cette actrice ?
Je connaissais Anne Dorval depuis longtemps. Nos rapports étaient toutefois semi-amicaux et sporadiques. Mais elle m’impressionnait, et je voulais lui plaire et l’impressionner à mon tour. Je crois que je ne veux travailler qu’avec des gens que j’admire profondément, et par qui j’ai envie d’être aimé. Anne est une actrice très polyvalente. Son jeu est pluriel, son instinct est absolu, et me semble même relever d’un sixième sens, par moments. À mon sens, Anne est une tragédienne, une humoriste, une comédienne burlesque. En fait, elle n’est pas qu’une actrice. C’est une artiste.
Dans Le livre de ma mère, Albert Cohen exprime ses regrets de ne pas avoir su apprécier correctement sa mère de son vivant. L’écriture de votre scénario est-elle partie de ce type d’émotions ?
Pas tout à fait, non. Le scénario n’est pas né par culpabilité, bien que ce sentiment soit omniprésent dans le film. J’ai écrit ce texte par pur besoin d’évacuation, de catharsis. L’exercice thérapeutique terminé, il a dormi dans un tiroir pendant près de six mois. Après quoi une amie actrice l’a lu, et m’a envoyé un mail très élogieux, un panégyrique qui m’a fait contempler la chose d’un œil plus artistique, plus professionnel. Je me suis alors demandé si le film pouvait intéresser les gens malgré son extrême intimité. C’est là que tout a commencé. Mais je n’ai jamais écrit ce scénario pour apaiser ma conscience, ou pour faire amende honorable. Je suis d’accord, évidemment, avec le propos d’Albert Cohen (« Les fils ne savent pas que leurs mères sont mortelles »), et je le partage, mais le motif d’écriture n’est pas le même.
Vous êtes-vous par ailleurs inspiré de l’ouvrage d’Albert Cohen ?
Non. Je connaissais une ou deux citations par simple curiosité. Mais j’ai lu Le livre de ma mère il y a un mois environ...
On ressent dans votre film un intérêt certain pour la littérature et la poésie. Certains auteurs vous ont-ils particulièrement inspiré au cours de la préparation et de la réalisation de J’ai tué ma mère ?
Oui ; Jean Cocteau.
J’ai tué ma mère est un film en grande partie autobiographique. Imaginez-vous la possibilité de réaliser des films purement fictionnels par la suite ?
Oui. Mon prochain film est une entière fiction. Je crois que j’avais besoin de transmettre un message précis, viscéral pour amorcer ma vie d’adulte. À présent, je vais pouvoir me concentrer sur un propos un peu plus vaste, sans toutefois m’égarer. L’apparence varie, le carcan change, mais la nature des sentiments abordés reste la même.
Entretien recueilli à Paris le 12 Juillet 2009