Après lui, le déluge
Le 4 mai 2010
Trip visuel hallucinogène, le nouveau Gaspard Noé va encore faire grincer beaucoup de dents. Mais malgré les défauts habituels, Enter the void gagne par KO.
- Réalisateur : Gaspar Noé
- Acteurs : Nathaniel Brown, Paz de la Huerta, Cyril Roy
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Date de sortie : 5 mai 2010
- Plus d'informations : Le site officiel du film
- Festival : Festival de Cannes 2009
– Durée : 2h34mn
Trip visuel hallucinogène, le nouveau Gaspard Noé va encore faire grincer beaucoup de dents. Mais malgré les défauts habituels, Enter the void gagne par KO.
L’argument : Oscar et sa soeur Linda habitent depuis peu à Tokyo. Oscar survit de petits deals de drogue alors que Linda est stripteaseuse dans une boite de nuit. Un soir, lors d’une descente de police, Oscar est touché par une balle. Tandis qu’il agonise, son esprit, fidèle à la promesse faite à sa soeur de ne jamais l’abandonner, refuse de quitter le monde des vivants. Son esprit erre alors dans la ville et ses visions deviennent de plus en plus chaotiques et cauchemardesques. Passé, présent et futur se mélangent dans un maelstrom hallucinatoire.
Notre avis : Promis, nous ne crierons ni au génie ni au scandale comme c’est souvent le cas dans le milieu de la critique française lorsque l’on parle d’un film de Gaspar Noé. Il est certain qu’il est très difficile de rester objectif devant une œuvre qui vous prend aux tripes, pour le meilleur comme pour le pire. Mais autant l’avouer, nous avons toujours eu un faible pour ce cinéaste qui laisse exploser sur la pellicule ses pulsions noires refoulées. Le cinéma est le seul vecteur qui lui permette cela car Noé est un esthète avant d’être un penseur, et c’est ce qui lui est le plus souvent reproché. Effectivement on sent qu’il se voudrait le passeur d’une pensée dont l’axe majeur serait le trinité Schopenhauer/Nietzsche/Freud, mais il s’y prend toujours de manière maladroite. On se souvient notamment de ces cartons un tantinet ridicules dans Irréversible : « le temps détruit tout ». Il nous semble pourtant qu’avec sa maîtrise technique hallucinante, Noé devrait avoir une foi absolue dans ses images et éviter ainsi de parasiter ses films de citations lourdingues. Enter the void n’échappe malheureusement pas à la règle, le cinéaste ayant tenu cette fois à nous faire le menu de ce que nous allons voir, en faisant réciter à l’un de ses personnages le résumé du Livre des Morts Tibétains lors d’une descente d’escalier interminable. C’est inutile, c’est lourd et surtout cela ampute une partie du mystère lié au trip qui nous est proposé par la suite. Noé rêve de réaliser son 2001 mais la grande différence entre Kubrick et lui c’est que rien n’est souligné dans 2001 afin que l’imaginaire du spectateur fonctionne à plein régime. Il faudrait désormais que le cinéaste français fasse plus confiance au spectateur, quitte à le laisser dans l’expectative.
- © Wild Bunch Distribution
Ces quelques réserves habituelles mises à part, il convient de saluer maintenant la toute puissance visuelle et l’audace technique d’Enter the void. Le générique est un modèle de trip épileptique sur fond de techno « tuning » effrayante. Le ton semble donné. Noé veut nous faire peur, nous mettre en garde contre son film. Simple résidu de provoc’ adolescente car la suite carbure plus à la marijuana qu’au speed. Le parti-pris de la caméra subjective, qui a souvent donné lieu à des ratages complets, parvient à nous immerger de manière remarquable dans la tête du personnage principal, Oscar. La raison de cette réussite ? Noé est allé jusqu’au bout du procédé : respiration sourde, clignements des yeux, visage dans le miroir, bourdonnements mentaux. Même si la caméra est encore trop lourde pour réellement imiter les mouvements de la tête, le pari est gagné. Aussi étonnant que cela puisse paraître, Enter the void est avant tout un film sensuel, au sens où il nous donne à éprouver des émotions et des stimulations rares. Les hallucinations sous drogues enfantent des visions organiques dignes de Burroughs. Et les plans séquences déambulatoires nous font ressentir avec une grande efficacité la moiteur tokyoïte nocturne. Les circonvolutions extraordinaires de la caméra, ses incessants trajets à travers les murs et au-dessus de la ville (Brian De Palma devrait apprécier) dessinent les contours d’une topographie cinématographique inédite. Du jamais vu, tout simplement.
- © Wild Bunch Distribution
Cette débauche de technique, aussi magistrale soit elle, aurait facilement pu tourner à vide (le « vide » du titre que les détracteurs de Noé ne manqueront pas de reprendre) mais il nous semble que le cinéaste parvient à dépasser ce simple effet de « montagne russe » en donnant corps au lien très fort qui unit Oscar et sa sœur. Le mélange des temporalités, les va-et-vient permanents de la mise en scène sont au service de cet amour fraternel dont la splendide pureté annule toute interprétation incestueuse. La caméra tisse des liens, rapprochent les êtres même dans la souffrance et la mort, jusqu’au final (que nous tairons) empreint d’une grande beauté naïve et qui peut s’apparenter à une sorte de happy end, à la Gaspard Noé certes, mais un happy end tout de même.
Comme tous les films de l’enfant terrible du cinéma français, il est délicat de recommander Enter the void, surtout aux âmes sensibles. Mais l’expérience, qu’elle soit bonne ou mauvaise selon les goûts, vaut la peine d’être vécue. Se mettre en danger reste l’une des libertés fondamentales du spectateur. Et il doit en user.
- © Wild Bunch Distribution
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Norman06 5 mai 2010
Enter the void - la critique
Ce gadget nombriliste et criard qui a fait se vider les salles de projection lors du Festival de Cannes 2009 restera dans les annales comme l’un des plus grands nanars d’auteur. Insoutenable.
Frédéric de Vençay 21 juin 2010
Enter the void - la critique
L’expérience "Enter the void" fonctionne pendant une bonne heure et demie, à la faveur d’idées au parfum d’inédit (le générique de début époustouflant, la scène de trip hallucinogène) et d’images à la beauté entêtante... Mais elle s’épuise par la suite dans une répétition vaine et stérile des mêmes artifices (les quarantes dernières minutes sont interminables). Dommage que Noé n’ait pas fait reposer sa maestria visuelle sur un "projet" cinématographique et narratif plus solide (la mort comme un grand trip, la réincarnation, la renaissance... mouais). Contrairement à "Irréversible" et à son final bouleversant, les images d’"Enter the void" se heurtent souvent au mur de ses intentions (plutôt débiles), au risque de sombrer dans le ridicule.