Danse Macabre
Le 20 septembre 2018
Et si Climax était le film à la fois le plus accessible et le plus radical de Gaspar Noé ? Avec ses chorégraphies et plans-séquences inouïs, cet hymne à la vie tourné comme un documentaire d’épouvante laisse pantois.
- Réalisateur : Gaspar Noé
- Acteurs : Sofia Boutella, Romain Guillermic, Souheila Yacoub
- Genre : Drame, Thriller, Épouvante-horreur, Trash
- Nationalité : Français
- Distributeur : Wild Bunch Distribution
- Durée : 1h35mn
- Âge : Interdit aux moins de 16 ans
- Date de sortie : 19 septembre 2018
- Festival : Festival de Cannes 2018, Quinzaine des Réalisateurs 2018
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Résumé : Naître et mourir sont des expériences extraordinaires. Vivre est un plaisir fugitif. Une troupe de danseurs décide de célébrer le dernier jour de répétition avant d’entamer une tournée en France et aux États-Unis. La fête vire au cauchemar.
Notre avis : Dans un espace en huis clos ramassé entre une salle de danse et un dortoir, le tout relié par un long couloir lugubre, Gaspar Noé passe en revue toutes les composantes de son œuvre. Au gré de danses frénétiques le plus souvent cadrées comme des trips psychédéliques, s’enchevêtrent par petites touches pointillistes les obsessions du réalisateur, de Carne (le rêve français, le vivre-ensemble et son envers) à Love (vie vécue, sentiments et pulsions sexuelles) en passant par Irréversible (sauvagerie, coupe-gorge, bas-fonds) et Enter the Void (mort, métaphysique et expérimentations). À cet effet, sa nouvelle intrigue se veut paradoxalement lacunaire, et c’est tant mieux. De jeunes danseurs professionnels fraîchement sélectionnés pour constituer une troupe viennent d’achever une semaine de répétition en prévision d’un spectacle outre-Atlantique. Une fête s’organise aussitôt pour célébrer leur prochain départ, que Noé met en scène dans un premier temps comme un documentaire étrange, puis comme un film d’horreur sous acide. C’est que quelqu’un a versé quelque chose dans la sangria, et ce quelque chose pourrait bien gâcher les festivités. Il serait aisé de reléguer ce cinquième film au rang d’énième provocation, celle d’un sale gosse devant l’éternel, d’un vaurien en mal d’adolescence usant des seules passions pour susciter le trouble. Pourtant, sa nouvelle esquisse conduit le spectateur bien plus loin que ne le laisse transparaître sa seule forme minimaliste. À voir ces séquences de danses dantesques exaltées à la fois par une mise en scène inventive et par des nappes de musique étourdissantes (Giorgio Moroder, Daft Punk, Aphex Twin…), s’installe une transe façon Spring Breakers - lequel partage d’ailleurs le même chef opérateur.
- © 2018 Wild Bunch
Ce sentiment d’abstraction qui s’immisce petit à petit sert à Noé de catalyseur. L’idée est pour lui d’introduire par contamination un point de non-retour, ce moment fatidique où il pourra entre autres rendre hommage à quelques-unes de ses principales influences cinématographiques, citées comme à son habitude dès l’ouverture (Salo, Querelle, Zulawski, notamment). À noter que le jeu halluciné de Sofia Boutella dans la seconde partie tient pour beaucoup de celui d’Isabelle Adjani dans Possession. Mais le point culminant, le "climax" – si tant est qu’il soit possible de l’identifier car ce dernier est perpétuel dans Climax –, c’est aussi l’allégorie du rêve de la France multiculturelle des années 90 (le récit se déroule en 1996). Ici, tous les protagonistes ont en commun la danse, s’accordent mais se distinguent par leurs origines, leur couleur de peau ou leurs orientations sexuelles et culturelles. De ce choix, découle sans doute le drapeau français à paillettes au centre de la fête ou le carton facétieux en amorce : "film français et fier de l’être". Point outre mesure de regard angélique à l’égard du vivre-ensemble dans Climax sinon au contraire une critique ostensible de ce qu’en a fait notre société. Et pour cause : soit la trajectoire des personnages au sein du lieu de répétition se lit comme la métaphore d’une existence avec ses fluctuations de la vie à la mort – le temps anéantit tout jusqu’aux liens les plus chers –, soit l’espace en vase clos isolé au milieu de la neige (le blanc symbolique façon Les 8 Salopards) renvoie à la discrimination et à la ségrégation – disons à la manière dont nos sociétés ont sédimenté en conscience les banlieues. À l’aune de cette équation, le drapeau pailleté sonne plus comme une belle promesse, mais une promesse trompeuse dissimulant un horizon claustro. Alors vite, dardent convulsivement les scènes de Climax, il faut danser sa vie avec fièvre et virulence, tourner sur soi-même jusqu’à l’épuisement pour atteindre une fois, rien qu’une fois, l’extase à en devenir fou.
- © 2018 Wild Bunch
De tous les films de Noé, Climax apparaît comme le plus resserré, tant en matière d’écriture que de dispositifs et procédés scéniques. Plus encore qu’avec Irréversible, le scénario ne s’embarrasse d’aucune fioriture pour surtout privilégier l’intensité. Afin de donner corps à cette fête hors-du-commun arrosée d’une sangria pas comme les autres, le cinéaste italo-argentin a choisi d’improviser l’essentiel de l’intrigue au fil du tournage. Les caméras, dont il a opéré cette fois en personne les déplacements avec son directeur de la photographie fétiche Benoît Debie, se contentent ainsi d’accompagner avec verve les chorégraphies et trajectoires des danseurs. Où le plan-séquence constitue, dans son acception la plus baroque, une pierre de touche fondamentale. Alors que les membres de la troupe rivalisent de prouesses techniques pour dessiner des motifs voguing, crump ou hip hop hardcore, les prises de vue défient en retour l’apesanteur pour en retranscrire toute l’effervescence. Il importe peu alors qu’émerge ou non une authentique histoire tant le vertigineux ballet parvient à lui seul à hypnotiser. À travers ces circonvolutions et mouvements d’appareil sans limite, affleure en creux une faconde héritée de Brian De Palma - garder en mémoire les performances sans cut apparent issues du Bûcher des vanités, de L’Impasse ou de Snake Eyes. À la différence près ici que l’on substitue au caractère systématique, académique et résolument emphatique de l’Américain, une velléité expérimentale anarchique et jusqu’au-boutiste. Pas un hasard : dans Climax, le cinéma de Noé adopte une logique de dérèglement précisément par opposition/réaction au contrôle – le confinement, le rythme. Parce que la coordination du groupe et la conjonction des corps, bien qu’un temps admirablement synchrones dans leur tempo, se veulent chaotiques par essence au-delà des apparences, la caméra cherche à figurer ce débordement intérieur.
- © 2018 Wild Bunch
Ce que Noé semble dès lors illustrer, c’est l’impossibilité pour chaque membre du groupe de faire corps avec les autres, simplement car pareille transmutation revient à nier toute individualité et tous désirs particuliers. En cela, Climax revient au principe fondateur de la filmographie de son auteur : celui de Seul contre tous, où chacun ne traverse jamais, de la naissance à la mort en passant par la baise et l’ivresse, qu’un long tunnel hermétique à autrui. Sous cet angle, a priori, rien de plus misanthrope et pessimiste. Sauf que Noé trouve à présent toujours un moyen dans cette matière sordide de renverser la dialectique - ce qui fait probablement de Climax son film le plus accessible, sans pour autant lésiner sur la radicalité. Parmi ses contrepoints les plus virtuoses brisant sans cesse la course des événements : l’oscillation continue, kubrickienne et imprévisible de sa caméra, l’humour omniprésent ou encore ces éclairages variant en temps réel et modifiant parfois d’une seconde à l’autre la couleur psychologique d’une scène. Toute cette gestuelle fantastique fait achopper la morale et advenir des personnages splendides – parmi lesquels tous, excepté Sofia Boutella, sont des inconnus –, des protagonistes éblouissants car sans retenue. C’est en cet entrelacs d’absence de tempérance que se situe le "climax" : la liberté jusqu’à la jouissance – fut-elle fragile et éphémère.
© 2018 Wild Side Vidéo. Tous droits réservés.
Les suppléments DVD :
– Jan Kounen et Gaspar Noé (40’)
– Tom Kan, l’art du générique (16’)
Les suppléments Blu-ray :
– Jan Kounen et Gaspar Noé (40’)
– Tom Kan, l’art du générique (16’)
– Court Métrage : SHOOT (3’)
– Deux clips : SANGRIA (3’) et LOVE IN MOTION (4’)
+ le CD de la bande originale du film
– Sortie DVD & Blu-ray : le 30 janvier 2019
– Sortie VOD : le 23 janvier 2019
- (c) 2018 Wild Bunch Distribution
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