Dans ce récit percutant, Patrick Boman a chassé de son propos toute l’ironie qu’on lui connaît par ailleurs pour aborder avec un réalisme cru la vie dans un fortin du bout de la désespérance. Univers visqueux, horizon glauque, tout n’y est que pourriture et merde à soulever le cœur. Pourtant des hommes continuent à y vivre (survivre), leurs jours scandés par l’inepte rituel militaire. Aucune perspective d’avenir ne leur est offerte, rien ne signale qu’ils seront un jour délivrés de ce cauchemar. Seuls leur restent quelques lambeaux de dignité... si peu. Alors on maudit Christophe Colomb qui a eu la triste idée de découvrir les Amériques, on maudit les ancêtres suisses qui ont choisi d’émigrer dans ce pays pour son soleil sous lequel on cuit. On attend. On subit.
La période dans laquelle l’auteur inscrit son récit n’est pas fortuite. Ailleurs, en Allemagne, en URSS, se déroulent les prémisses du grand massacre de la Seconde Guerre mondiale, Nuit des longs couteaux, premiers procès de Moscou. Toutes choses que ces hommes, abandonnés dans leur trou à rat pestilentiel et cruel, ignorent. Mais dont ils sont l’allégorie ultime et pitoyable. Violent et bref, ce texte hors norme et hors mode constitue, à sa manière, un implacable et féroce plaidoyer à rebours, un coup de poing dans la gueule contre la folie de la guerre.