No women’s land
Le 27 novembre 2013
Un premier long-métrage doté d’une belle sensibilité porté par deux actrices d’une grande subtilité. Une réelle découverte.
- Réalisateurs : Nana Ekvtimishvili - Simon Groß
- Acteurs : Lika Babluani, Mariam Bokeria
- Genre : Drame
- Durée : 1h42min
- Titre original : Grzeli nateli dgeebi
- Date de sortie : 27 novembre 2013
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Un premier long-métrage doté d’une belle sensibilité porté par deux actrices d’une grande subtilité. Une réelle découverte.
L’argument : Inséparables, Eka et Natia vivent à Tbilissi, en Géorgie, au lendemain de l’effondrement de l’Union soviétique. À 14 ans, elles vivent le quotidien des jeunes filles de leur âge, dans la rue, à l’école, avec les amis ou la famille. Confrontées à la domination des hommes, elles luttent pour leur liberté avec l’énergie et la force de la jeunesse.
Notre avis : Entre fraîcheur, douceur et solennité,Eka et Natia conte l’histoire d’un passage : celui qui conduit de l’enfance à l’âge adulte. Abandonnées dans un monde qui s’écroule, la songeuse Eka et l’impulsive Natia font leurs premiers pas. De femmes. Et chacune à leur manière, elles s’affirment, physiquement. Courtisée par les garçons, Natia est physiquement en avance. Son corps se forme, s’arrondit et prend de la place. Beaucoup trop de place. Dans l’ombre, Eka observe le petit jeu d’une société patriarcale qui la domine quand Natia se jette à bras le corps dans le flot des premières émotions. Deux actrices, deux visages, deux luminosités incroyables, qui portent à l’écran toute la finesse du propos : un désir d’émancipation dans un monde-prison. Ici, tout décor n’est que lieu de passage : pont, balcon, hall d’entrée, file d’attente... Noyauté autour du concept de mutation, adolescente, féminine mais aussi sociale, Eka et Natia brille par la richesse de son univers. Déchiré entre la chute du mur et le conflit en Abkhazie, la Géorgie est alors coincée dans un hors temps, affranchie du passé sans espoir d’entrevoir l’avenir. A Tbilissi, rien ne se stocke et tout s’épuise : le pain, les cigarettes, et même les hommes.
Eka et Natia, c’est la mise en miroir d’une société opposant deux communautés : une masculine et une féminine. Séparés dans le cadre, filles et garçons se croisent sans jamais se rejoindre. Dans ce pays en guerre, chacun reste dans son camp. Plongé dans la grandeur désolée des extérieurs de Tbilissi, les garçons jouent aux petits soldats. Avec de vraies armes. Reclus dans la sécurité des intérieurs, les filles rêvent leurs vies plus qu’elle ne la vivent. En attendant mieux. Pour finalement un beau jour se faire kidnapper et presque aussitôt marier. A croire que dans ce monde heurté, la violence a remplacé les moyens de communication... Ici mots doux riment avec menaces et les bouquets de fleurs deviennent des flingues. Désoeuvrée dans un monde à la dérive, la jeunesse est en manque de re-père. Sur le champ de bataille du terrain vague de Tbilissi, pas une seule empreinte paternelle. Alcoolique pour l’une, criminelle pour l’autre, Eka et Natia ont poussé en solitaire, à l’ombre du précaire, dans un vase-clos régenté par les femmes. Pour elles, pas de cinéma, pas de concert, pas de voyage, la transgression se joue ailleurs, en intérieur-jour-chandelle. Sans électricité, leur monde se refait sur un air de piano que l’on chante en choeur, sur une cigarette que l’on tire à plusieurs, sur un souffle illusoire de liberté. Classique dans sa narration, cette chronique géorgienne se singularise par sa justesse de ton et sa mise en lumière de l’émotion. Particulièrement brillante dans les scènes de groupes, la réalisatrice tend entre Eka et Natia, un fil toujours sur le point de rompre. D’une scène à l’autre, le pouvoir balance. Et le coeur aussi.
Entre Eka et Natia, c’est l’amitié passionnelle, celle qui raccorde fusion et incompréhension. D’un côté, Eka, distante, intransigeante, altière, erre imperméable au chaos environnant. De l’autre, Natia, émotive, spontanée, et extravertie, pactise pour mieux régner avec l’ennemi. Deux points de vues radicalement différents. Esthétiquement, Eka et Natia tranche dans le quotidien avec froideur, pâleur mais pas avec fadeur. Cadres composés jusqu’au bout des ongles, scènes chorales chorégraphiées au mouvement près, Nana Ekvtimishvili est une cinéaste qui focalise dans le détail. D’un plan séquence à l’autre, la caméra portée suit nos héroïnes à la fleur de leur peau. Et peu à peu, Eka s’impose dans le plan, prend de l’épaisseur dans l’espace quand Natia, kidnappée, voit son champ d’action se resserrer à sa chambre nuptiale. Sur l’écran, Natia a revêtu la robe blanche, celle d’un mariage à demi-forcé. La mine sombre, Eka ne dit mot. Et dans cette atmosphère festive, Eka danse, sombrement, durement, hermétiquement. Comme une révolte sourde. Comme une salve de coups. Comme une résistance.
Avec finesse et radicalité, Eka et Natia retrace la violence, littérale et figurée, d’une société géorgienne en perdition. Profond et touchant.
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