Résignation et révolte
Le 11 août 2023
Première grande réussite de Claude Autant-Lara, ce drame romanesque frappe par sa critique sociale et sa splendeur plastique.
- Réalisateur : Claude Autant-Lara
- Acteurs : Marguerite Moreno, Madeleine Robinson, Jean Debucourt, Albert Rémy, Léonce Corne, Roger Blin, Palmyre Levasseur, Odette Joyeux, Charles Vissières, Gabrielle Fontan, Roger Pigaut
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Français
- Distributeur : Sirius
- Durée : 1h44mn
- Date de sortie : 10 novembre 1943
L'a vu
Veut le voir
Résumé : À la fin du XIXe siècle, Irène est la gouvernante de la jeune Douce de Bonafé et a pour amant le régisseur Fabien, dont Douce s’est secrètement entichée. Fabien voudrait emmener Irène au Canada mais celle-ci est tentée par l’idée d’épouser le maître de la maison, le père veuf de Douce.
Critique : Adaptation d’un roman de Michel Davet, pseudonyme de l’écrivaine Hélène Marty, Douce marque est une étape importante dans la collaboration entre Autant-Lara et le duo formé par le scénariste Jean Aurenche et le dialoguiste Pierre Bost. Après Le mariage de Chiffon et Lettres d’amour, le cinéaste dirige à nouveau Odette Joyeux qui joue avec délicatesse le rôle de Douce, la jeune fille de bonne famille dont les sentiments amoureux vont contribuer à déstabiliser l’existence de son entourage. Plus que dans les deux films antérieurs, Douce est un brûlot contre l’ordre social et les hypocrisies des classes supérieures, incarnées ici par la comtesse de Bonafé (prodigieuse Marguerite Moreno), grand-mère odieuse et autoritaire dont il faudra attendre le dénouement pour déceler une pointe d’humanité. L’œuvre est restée à ce titre célèbre pour la scène de la visite annuelle à « ses » pauvres, dans laquelle la comtesse humilie un couple de petits vieux non sans leur souhaiter « patience et résignation ». Les classes moyennes ne sont guère mieux traitées par la douairière, et ce n’est pas pour rien que Fabien (Roger Pigaut) souhaitera « impatience et révolte » à Irène (Madeleine Robinson), de qui il est épris et avec laquelle il souhaite s’enfuir, une réplique qui sera supprimée par la censure de Vichy... Car sous couvert de décrire les mesquineries d’une noblesse parisienne en déperdition en cette fin de XIXe siècle, c’est bien la haute société de son temps, antirépublicaine et ultra-conservatrice, que cible Autant-Lara.
Le cinéaste dénonce en outre les compromissions de l’Église, lors d’une première scène d’un anticléricalisme que l’on retrouvera de façon récurrente dans son œuvre. Pourtant, le cinéaste n’est pas tendre avec les gens du peuple, arrivistes ou lâches, dans un monde sans pitié où seuls les simples d’esprit s’avèrent honnêtes, comme le souligne la vieille domestique (Gabrielle Fontan). Les personnages sont toutefois peints avec nuance, à l’image d’Engelbert de Bonafé (Jean Debucourt), infirme et vulnérable, et qui serait prêt à transgresser cet univers étouffant et rigide. Mais il ne faut pas réduire Douce à cette dimension sociale, tant le récit est avant tout un modèle de drame romanesque, où la violence des sentiments affectifs n’est pas moins profonde que les rapports de classe. Et c’est par une mise en scène élégante qu’Autant-Lara filme ces liaisons dangereuses. Le très ophulsien panoramique qui débute le film n’est pas la moindre fulgurance d’une œuvre plastiquement séduisante. Sur ce plan, la photo de Philippe Agostini et les décors de Jacques Krauss apportent une plus-value indéniable. Véritable auteur de cinéma, Autant-Lara réalisera d’autres films importants des années 40 et 50, dont Le diable au corps et La traversée de Paris, avant d’être éclipsé par la Nouvelle Vague, qui démoda son art. Son cinéma mérite d’être découvert par les nouvelles générations.
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.