Le 8 janvier 2019
Sur un thème classique, Shinoda réalise une œuvre troublante à la beauté incontestable.
- Réalisateur : Masahiro Shinoda
- Acteurs : Shima Iwashita, Kichiemon Nakamura, Hōsei Komatsu
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Japonais
- Editeur vidéo : Wild Side Video
- Durée : 2h22mn
- Titre original : Shinjû: Ten no amijima
- Date de sortie : 26 août 2008
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– Ce film inédit en salles a été édité par Wild Side en 2008
– Année de production : 1969
Résumé : Au XVIIIe siècle, à Osaka, Jihei, un célèbre marchand, laisse derrière lui sa famille, son travail et sa réputation pour aller vivre avec Koharu, une charmante courtisane.
Notre avis : C’est le premier film indépendant de Shinoda, celui qui allait décider, d’après lui, de son avenir en tant que réalisateur. Il y adapte une célèbre pièce de bunraku (théâtre de marionnettes), classique écrit par Monzaemon Chikamatsu (1653-1725), mais en fait une œuvre déroutante, à mi-chemin entre tradition et modernité : dès le début, pendant qu’on assiste à la préparation d’une représentation, le cinéaste dialogue en voix off avec son scénariste et lui dit qu’il a trouvé un lieu pour la scène finale, qu’effectivement nous verrons plus tard. Cette idée, très « cinéma moderne », est cependant abandonnée, comme les marionnettes qui disparaissent pour laisser place à la narration. Pour autant, des « kuroko » (marionnettistes) sont les témoins et accessoiristes (ils tendent un sabre, retirent un décor) du drame ; ils interviennent de manière muette, à l’exception de quelques commentaires lyriques. Selon Shinoda lui-même, ils symbolisent le destin qui accable des personnages (le mari, la femme et la maîtresse) malmenés par leurs passions. Le premier, Jihei, est un commerçant marié et père de deux enfants, saisi d’amour pour une courtisane, Koharu, prêt à tout pour la racheter. De ce point de départ traditionnel, le cinéaste fait une tragédie innervée par le conflit entre sentiments et devoirs dans une société très corsetée (voir les parents, antipathiques gardiens des règles) : les amants sont montrés dès les premières minutes en cadavres exposés au public (le double suicide amoureux étant interdit par la loi, on punissait ainsi les contrevenants), il n’y a donc pas de suspense sur l’issue fatale, que le titre indique déjà. Tout le film consiste à détailler la suite de conséquences qui y aboutit.
Mais l’originalité formidable du métrage est de faire de cette histoire balisée un pari formel, avec peu de moyens et beaucoup d’imagination. Rejetant le réalisme, Shinoda fait des plans très composés, à la limite du formalisme, dans lesquels le cadre agit comme une prison, cadre relayé par des barreaux et une infinie variation de lignes verticales (et, moins souvent, horizontales). Ainsi conçue, l’image enserre les personnages dans un réseau proche de l’abstraction dont ils ne peuvent s’échapper qu’en courant vers la mort. Les gros plans, superbement éclairés, découpent des visages en clair-obscur et alternent avec d’autres, tout aussi graphiques, qui jouent d’une construction savante et souvent figée.
Cette esthétique très travaillée peut séduire. Elle courrait le risque de la gratuité si Shinoda ne mêlait à ce formalisme un travail sur l’érotisme (les étreintes sont magnifiques) et une caractérisation forte des personnages : Jihei est plaintif, hésitant, lâche en partie, toujours prêt à obéir à l’autorité présente, alors que les deux femmes (interprétées par la même actrice) ne sont que puissance et dévouement. Si Koharu semble renoncer à son amant, c’est pour sauver l’épouse et Jihei lui-même, ce qu’il ne comprend pas. Et pourtant, en quelque sorte, la fin l’épargne, puisqu’il prend une décision et s’y tient, permettant au film de se conclure en revenant au début, l’exposition des corps.
Sans doute y a-t-il beaucoup de subtilités, propres à la société et à la culture japonaises, qui nous échappent. Peut-être même peut-on trouver longues les jérémiades des personnages. Mais Double suicide à Amijima reste une œuvre forte, exigeante par ses partis pris esthétiques qui ne cessent d’entraver la narration sans pour autant aller jusqu’au détachement complet. Une expérience, en somme, austère et passionnante.
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