Le 5 avril 2021
- Réalisateur : Masahiro Shinoda
- Acteurs : Tetsurô Tamba, David Lampson, Don Kenny
- Editeur : Carlotta Films
- Nationalité : Japonais
- Durée : 2h10mn
- Reprise: 24 mars 2021
Parmi les nombreux coups de maître de la Toho, Silence reste, malgré ses cinquante ans, un pilier solide du film de costume japonais, entre grande qualité plastique et épaisseur philosophique.
Résumé : Au XVIIe siècle, père Rodrigues et père Garppe sont deux prêtres jésuites portugais qui s’en vont aux Japon pour diffuser leur religion, et retrouver la trace de père Ferreira, qui a disparu depuis de nombreuses années.
Critique : Habitué aux films plus modestes, Masahiro Shinoda, figure de la Nouvelle Vague japonaise, est projeté vers le jidaigeki – genre regroupant les reconstitutions historiques japonaises - avec la confiance de la Toho. La Toho, c’est ce grand studio japonais qui a produit un pan immense de la culture cinématographique nipponne et de nombreux chefs-d’œuvre. Par exemple, d’autres jidaigeki, avec pour fer de lance Les Sept samouraïs de Kurosawa. En 1971, c’est l’adaptation d’un roman de Shusaku Endo – unanimement respecté au Japon et ailleurs - qui est lancée avec de grands moyens, loin des expérimentations que Shinoda a menées à l’aube de la Nouvelle Vague.
Le film, à l’instar de la nouvelle adaptation de Shusaku Endo par Martin Scorsese en 2016, frappe par son aptitude à happer le regard du spectateur. Sa veine contemplative constitue son ADN. De fait, la nature, dans laquelle se déploie l’action, la plupart du temps, enserre les personnages et éclaire le film de sa beauté sauvage.
Le long-métrage se concentre sur ces deux prêtres portugais, distingués de leur environnement par leur physique, parfois par leur langue, mais aussi par leurs costumes. Shinoda nous montre en permanence que les protagonistes se situent en terre hostile. Car il faut le rappeler : ces deux ecclésiastiques viennent diffuser leur religion dans un pays où le christianisme est formellement interdit.
- © 2021 Carlotta Films.
La musique de Toru Takemitsu, mêlant de manière troublante cordes et percussions agressives, se marie parfaitement avec le montage. Les deux, souvent en même temps, opèrent des coupes très franches, voire brutales au cours du récit, ce qui lui confère un rythme relativement soutenu, ne perdant pas les spectateurs avertis.
Par ailleurs, le film, comme tous ceux dignes d’être célébrés, s’arme de quelques plans mémorables. De ceux qui restent gravés, et troublent les lignes entre peinture et cinéma, à l’image des scènes de condamnation, bercées par la danse macabre des vagues qui ponctuent les morts de chrétiens persécutés.
Silence organise alors un discours sur la religion, discutant par exemple de la pertinence de l’importer dans un pays qui ne la connaît pas. Peut-elle prendre racine ? Faut-il l’adapter, l’imposer, l’interdire ? L’œuvre parvient à montrer combien la foi transporte les âmes, mais aussi quels problèmes politiques elle peut poser. Elle est un sujet d’une grande pertinence pour ausculter une époque, dans la mesure où elle dérange l’autorité, qu’elle questionne les citoyens et les pousse à faire des choix cornéliens. A se révéler, en somme.
- © 2021 Carlotta Films.
La quête initiale qui mène au père Ferreira sert un temps de prétexte aux pérégrinations du personnage principal, dont le parcours permettra de questionner son propre rôle de prêtre : est-il noble de vouloir importer sa religion, et quelle limite existe-t-il avec le fait de l’imposer ?
Quoi qu’il en soit, Shinoda et Endo, coscénaristes, écrivent un grand procès auquel on aurait bien du mal à ne pas souscrire : celui de l’intolérance nippone de l’époque avec la foi chrétienne, ce qui eut des conséquences humaines désastreuses.
Silence interroge aussi les tensions susceptibles d’animer les croyants. Est-il beau, ou plutôt triste de faire passer sa propre vie confrontée à une mort certaine, après la foi ? Quid de privilégier l’existence des autres après sa propre croyance ? Si la religion peut nous pousser à sacrifier d’autres pour elle, ne devient-elle pas mortifère ? Les personnages, dont le père Rodrigues, ne feront pas tous le même choix entre l’existence et la foi.
- © 2021 Carlotta Films.
Shinoda prend finalement le temps de se demander jusqu’où ce credo peut aller. Combien de vies, combien de peines valent un renoncement à Dieu ? Ne faudra-il pas, selon les principes mêmes qu’il défend, que le prêtre Rodrigues Lui tourne le dos ? Le fait d’apostasier, paradoxalement, pourrait-il revêtir une forme de salut ?
Silence est un film dont on ne sort pas sans questions. Jusqu’à un plan final qui laisse songeur et conduit à réfléchir au sens des images que l’on vient de voir, pour toujours.
L’image
Dans ce format 4/3 (1.37 précisément), Silence dévoile toute sa splendeur avec la haute définition. La majestuosité des cadres de Shinoda sort grandie de cette nouvelle édition, ponctuée de plans d’une profondeur et d’une beauté folles. Le travail de Kazuo Miyagawa à la photo est remis en valeur, avec notamment des contrastes de couleurs très marqués, souvent entre les costumes et les décors.
Le son
Si l’on est parfois gêné du manque de synchronisation entre les voix et les mouvements labiaux des personnages - impossible à reprocher à l’éditeur -, notons que la qualité du son ne souffre d’aucune ombre au tableau.
Les suppléments
On appréciera grandement la présentation du film par Pascal-Alex Vincent, spécialiste du cinéma japonais. En l’espace de quelques minutes, s’appuyant sur une présentation dynamique, il nous permet de mettre Silence en contexte, avec une belle aptitude à mettre en valeur quelques données clés qui donnent plus de sens au visionnage. En effet, il permet de distinguer rapidement quelques acteurs marquants de l’histoire du cinéma japonais, mais aussi de resituer Silence au sein de l’œuvre de son cinéaste, ce qui aura d’ailleurs le don de surprendre.
Par ailleurs, il est toujours sympathique de retrouver les deux bandes-annonces, d’époque et d’aujourd’hui, la seconde n’étant pas indispensable.
Galerie Photos
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.