Second souffle
Le 21 mai 2014
Deux fois auréolés d’une palme d’or à Cannes, les frères Dardenne tentent d’en décrocher une troisième en revenant en compétition cette année. Mais qu’avons-nous donc pensé de leur nouveau film ?
- Réalisateur : Jean-Pierre & Luc Dardenne
- Acteurs : Marion Cotillard, Fabrizio Rongione, Christelle Cornil, Catherine Salée, Myriem Akheddiou, Laurent Caron
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Distributeur : Diaphana Distribution
- Durée : 1h35mn
- Date télé : 8 janvier 2020 21:00
- Chaîne : Arte
- Date de sortie : 21 mai 2014
- Festival : Festival de Cannes 2014
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Résumé : Sandra, aidée par son mari, n’a qu’un week-end pour aller voir ses collègues et les convaincre de renoncer à leur prime pour qu’elle puisse garder son travail.
Critique : Après deux Palmes d’or (Rosetta, L’enfant) et un Grand Prix du Jury pour Le Gamin au vélo, les Dardenne se retrouvent une nouvelle fois en compétition sur la Croisette pour un possible triplé historique. Deux jours, une nuit, s’il n’a pas la force désespérée de leurs précédents films, dresse un constat implacable du monde du travail et brosse un magnifique portrait de femme porté par une Marion Cotillard entre ferveur et renoncement.
Huit réalisateurs seulement sont à ce jour parvenus à rejoindre le cercle très fermé des doubles palmés à Cannes. Parmi eux, nombre de cinéastes sont devenus absolument incontournables, à l’image de Coppola, Kusturica, Haneke, Imamura et, seuls représentants de la francophonie... les Dardenne. Il faut dire que les Belges du Festival proposent depuis de nombreuses années une œuvre d’une grande cohérence qui ne cesse de s’écrire au présent. Cinéastes de l’intime et du social, Jean-Pierre et Luc n’ont eu de cesse de traiter de la marginalité et de l’intégration en prenant à bras le corps des questions d’une actualité brûlante. Deux jours, une nuit n’est pas un Rosetta bis, comme ceux qui estiment que les Dardenne se contentent de décliner un modèle unique ne manqueront sans doute pas de l’écrire. Principale différence, Rosetta était irrémédiablement seule et livrée à elle-même tandis que Sandra peut compter sur le soutien de sa famille et de ses amis pour rebondir et éviter la déchéance. Mais les deux héroïnes ont en commun cette même force de caractère, cette même étincelle de vie, ce même besoin de ne rien lâcher qui les rendent si attachantes. Si les Dardenne sont sans aucun doute un modèle de cinéastes militants, ils sont avant tout des fervents défenseurs du droit irrépressible de tout un chacun d’accéder à sa propre humanité, humanité trop souvent ébranlée, voire bafouée. C’est ce combat de tous les instants qui anime leur art et rend leurs films si passionnants. Deux jours, une nuit ne déroge pas à la règle en nous livrant le portrait d’une femme qui, en se démenant pour garder son travail, se bat avant tout pour redevenir elle-même après avoir été dépossédée de son identité. Comme à leur habitude, les Dardenne centrent leur histoire sur un personnage principal qui cherche par tous les moyens à retrouver une place dans une société qui compte de plus en plus d’exclus. Dans un style caractéristique, épuré sans pour autant sembler austère et toujours proche du cinéma vérité, les réalisateurs privilégient une approche ultra réaliste et des cadrages serrés qui cherchent à capter au plus près les émotions des personnages. Dans le rôle titre, Marion Cotillard, dont la tendance au surjeu et à la démesure sont ici parfaitement canalisés, se plie à la méthode Dardenne pour une interprétation toute en retenue et nuances qui la place en bonne position pour succéder à Bérénice Bejo dans la course à la statuette dorée. Si d’un côté on peut regretter un manque de caractérisation du personnage de Sandra (on n’a aucun détail sur l’origine de sa dépression), dont l’alternance entre mobilité et inertie donne au film son rythme de croisière, on ne peut qu’applaudir le choix des frères Dardenne de le transformer en une énergie pure, entre incarnation et évanescence.
- "Deux jours, une nuit" / Marion Cotillard
- © Christine Plenus
Chez les cinéastes, les personnages ne sont en effet pas déterminés par ce qu’ils ont fait, mais par ce qu’ils sont en train de faire. C’est pourquoi nous rentrons immédiatement au cœur de l’action, à un moment où la vie de cette femme bascule de nouveau. Pourquoi alors nous sentons-nous si concernés par le destin de Sandra ? Tout simplement parce qu’elle représente ce que nous sommes, nos forces et nos faiblesses. Ni plus, ni moins. Mieux, elle apparaît comme un véritable modèle identificatoire de courage et d’abnégation. À l’heure où les intérêts financiers supplantent bien souvent ceux des travailleurs et où les réductions de personnel sont monnaie courante, les Dardenne, en réinjectant de l’humain au cœur du système, obligent le spectateur à regarder les choses d’un œil des plus lucides. Loin de tout jugement, le film propose sans étalage une galerie de personnages hétéroclites pourtant confrontés au même dilemme moral. Venus d’horizons différents dans une Belgique de plus en plus cosmopolite, chacun réagit différemment car il doit composer avec ses propres contraintes pour ne pas lui-même finir broyé. Tous solidaires ? Non. Car le choix est parfois cornélien entre la conscience et la raison matérielle. Quoiqu’il en soit, et c’est là tout l’intérêt du film, nul ne peut rester impartial même si choisir s’avère impossible. Sans jamais quitter des yeux l’ascension de leur héroïne vers la difficile acceptation de soi, les Dardenne envoient tout de même un message clair. Les fautifs ne sont pas ceux qui ont décidé de voter « non » le jour J. Le vrai coupable, c’est le capitalisme sauvage qui oblige les patrons à supprimer des postes pour économiser des salaires, ce qui fait immanquablement sauter les travailleurs qui sont dans la plus grande précarité. Mais tout cela est tellement dénué de pathos et est amené avec une telle finesse que le film ne tombe jamais dans l’écueil du propos politique. Reste la puissance d’évocation de Marion Cotillard, écartelée entre espoir et détresse, qui irradie cette fable cruelle de son aura naturelle. Un film vrai et poignant d’où se dégage une profonde tendresse, malgré une construction qui s’avère par moment un peu répétitive.
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