Le Secret derrière la porte
Le 4 juillet 2022
La Fille inconnue n’est pas le grand film sur la culpabilité que l’on attendait. Trop démonstratifs et se refusant à toute nuance psychologique, les Dardenne échouent à susciter toute émotion. Restent Adèle Haenel, et un scénario efficace.


- Réalisateur : Jean-Pierre & Luc Dardenne
- Acteurs : Olivier Gourmet, Jérémie Renier, Adèle Haenel, Olivier Bonnaud, Louka Minnella, Laurent Caron
- Genre : Drame, Drame social
- Nationalité : Belge
- Distributeur : Diaphana Distribution
- Date télé : 19 mars 2025 21:00
- Chaîne : Arte
- Date de sortie : 12 octobre 2016
- Festival : Festival de Cannes 2016

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Résumé : Un soir, après l’heure de fermeture de son cabinet, Jenny, jeune médecin généraliste, entend sonner mais ne va pas ouvrir. Le lendemain, elle apprend par la police qu’on a retrouvé, non loin de là, une jeune fille morte, sans identité.
Critique : Drame social anxiogène au carrefour de Rosetta et de Le Silence de Lorna, La Fille inconnue n’a toutefois l’évidence d’aucun d’entre-eux, trop occupé qu’il est à développer sa thèse balourde. Derrière cette quête expiatoire de Jenny, médecin coupable d’avoir gardé close la porte de son cabinet alors qu’une jeune fille nécessitait de l’aide pour échapper à la mort, se dissimule la radiographie d’un espace social complexe : la périphérie de Liège. L’enquête rédemptrice que va mener la jeune doctoresse, passant peu à peu cet univers et ses habitants au crible, n’est pas l’élément crucial de La Fille inconnue. Cette dimension policière ne sert en effet aux Dardenne que dans la mesure où elle permet de révéler ce qu’escamote le parapet social, toujours latent entre médecin et patient : ce seront les angoisses cachées, les transgressions, les confidences etc. En un sens, la Jenny médecin bascule vers une démarche plus psycho-thérapeutique (mais clinique et métallique) à mesure qu’elle réussit à faire abstraction des conventions sociales. Comme s’il s’agissait pour elle de racheter la violence symbolique dont sont victimes ses clients. D’abord désireuse de quitter son petit cabinet médical de quartier pour rejoindre une structure mutualisée idéale lui permettant de gravir les échelons de la profession, la jeune femme se ravise. Son regard sur le genre humain, au départ exclusivement compassionnel (les seuls liens étroits qu’elle entretient le sont initialement pour des malades du cancer), retrouve l’humanité perdue. Ce mur s’efforçant de ne laisser transparaître aucune émotion qu’est Adèle Haenel laisse alors enfin passer quelques sentiments, que les frères belges échouent néanmoins à développer.
- Copyright Christine Plenu
L’ennui pour les Dardenne est que ce système, tout en tentant d’y échapper, frise le sentimentalisme polaire. Il y a quelque chose de binaire dans La Fille inconnue à d’abord décrire les gens comme des choses dépourvues d’altruisme, mutiques, et a priori abruptes, puis ensuite de dévoiler leur revers plus bienveillant - ou inversement. Ce sentiment d’avoir devant soi une logique misanthrope à la Haneke, mais dont la trajectoire vire soudainement de bord pour produire l’effet contraire, ne convainc pas. Et ce n’est pourtant pas faute pour les Dardenne de multiplier les schémas pour en soutenir la démarche. Toujours debout pour s’adresser à ses patients en début de parcours, Jenny n’apparaît plus qu’assise face à ces derniers dans les dernières minutes. Comme si l’humilité avait remplacé l’arrogance. La jeune femme n’est évidemment pas la seule responsable de tous ces maux, mais comme les autres l’instrument d’un système normalisé qui la dépasse. Luc et Jean-Pierre Dardenne soutiennent simplement qu’il n’y a pas là de fatalité et que chacun a la possibilité à son échelle de rendre les choses plus acceptables. Le message a beau avoir du sens, le manque total de psychologie pour expliquer le pourquoi des actes de Jenny, en devient problématique. Pire : l’obsession du duo à toujours vouloir exprimer le comment rend visible l’absence totale de proposition de cinéma. Hormis un scénario une nouvelle fois bien ficelé et l’intensité d’Adèle Haenel, La Fille inconnue est décidément un Dardenne mineur.