Un polar méconnu
Le 2 novembre 2011
Ce premier film de Jacques Becker, polar efficace et comédie subtile, offre un dernier grand rôle à Mireille Balin, vamp du cinéma français.


- Réalisateur : Jacques Becker
- Acteurs : Mireille Balin, Pierre Renoir, Raymond Rouleau, Noël Roquevert, Georges Rollin
- Genre : Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters
- Distributeur : Universal - StudioCanal
- Durée : 1h45mn
- Date de sortie : 2 septembre 1942

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L’argument : Dans un pays imaginaire d’Amérique latine, deux élèves de l’école des cadets de la police, Clarence et Montès, bons camarades mais rivaux pour la nomination du major de la promotion, vont avoir l’occasion de se départager : le truand Amanito, ennemi public des États-Unis, est retrouvé mort dans un hôtel. On leur confie l’enquête, durant laquelle ils croiseront la route de Bella, une belle jeune femme, sœur d’un chef de gang…
Notre avis : Ancien assistant de Renoir, Jacques Becker signe avec Dernier atout son premier long métrage de fiction. Depuis la guerre, beaucoup de metteurs en scène français (Clair, Renoir, Duvivier...) sont exilés aux États-Unis, laissant la voie libre à une nouvelle génération (Clouzot, Bresson, Autant-Lara...) qui donnera une effervescence créatrice au cinéma de l’Occupation. Dernier atout participe à cette mouvance même si l’œuvre a longtemps été jugée mineure dans la filmographie de l’auteur de Casque d’or. À sa sortie, le film avait pourtant fait la quasi-unanimité critique, de Jacques Audiberti félicitant Becker « d’avoir dans notre temps de carême matériel trouvé les moyens de fabriquer, à l’aide de trois cartes postales de Nice, une ville de l’Amérique du Sud totalement acceptable », à François Vinneuil (alias Lucien Rebatet) appréciant « qu’il y ait encore des Français capables de tourner en faisant leur profit de l’incomparable technique américaine, sans la pasticher ». C’est en effet tout au mérite du jeune réalisateur d’avoir su s’inspirer des grands polars hollywoodiens (on songe à Scarface dans la fusillade finale) et des comédies de l’âge d’or (La Cava, Cukor), tout en les adaptant à un esprit français (les dialogues de Pierre Bost) et au minimalisme dû au manque d’argent : ainsi, il n’avait pas été possible de se procurer de vraies mitraillettes et des jouets d’enfants étaient utilisés, Marguerite Renoir, la monteuse, ayant gratté le positif pour simuler les éclats des balles...
Ce mélange des genres et cette économie de moyens ne sont pas le moindre charme de ce récit élégant et elliptique qui annonce la suite de sa filmographie, notamment par le thème du conflit entre l’individuel et le collectif : Clarence (Raymond Rouleau), le policier solitaire qui finira par intégrer une équipe, est le précurseur du Goupi misanthrope et traditionaliste ou du Max le Menteur faussement désabusé (Jean Gabin) de Touchez pas au grisbi. Quant aux images de l’amitié ou de la rivalité masculine (sentimentale ou professionnelle), elles seront reprises dans Falbalas, Touchez pas au grisbi et Le trou. Mais ici, on marivaude à l’ombre des révolvers, et l’on se tue entre deux scènes de séduction : Dernier atout est donc plus proche de la légèreté d’Edouard et Caroline que de la noirceur tragique de Casque d’or. Il faut enfin souligner le plaisir de revoir les grands « excentriques » du cinéma de l’époque : Jean Debucourt en autoritaire chef de la police, Roger Blin en flic déguisé, Gaston Modot en ennemi public numéro un, et surtout Noël Roquevert en instructeur acariâtre et dépassé. Mais c’est la présence de Mireille Balin (1909-1968), la
« Marlene Dietrich française », qui crève le plus l’écran par sa beauté et son magnétisme : elle avait incarné les femmes fatales depuis Pépé le Moko et offre ici sa dernière grande prestation, la même année que Macao, l’enfer du jeu.