Démocratie Année Zéro – la critique du film

Les origines et les enjeux de la révolution tunisienne : un sujet complexe que Démocratie Année Zéro traite avec un souci d’humanité qui lui permet d’éclaircir ce moment d’histoire majeur.

L’argument : Quatre semaines. C’est le temps qu’il aura fallu au peuple tunisien pour renverser le dictateur Ben Ali et ouvrir le champ au plus grand bouleversement géopolitique de ce début de XXIe siècle. Mais la révolution tunisienne, aussi inattendue et fulgurante qu’elle ait pu apparaître aux yeux du monde, s’inscrit dans une histoire bien plus large. Celle qui s’étend des premières révoltes dans le bassin minier de Gafsa en janvier 2008, jusqu’aux premières élections libres d’octobre 2011.
En deux chapitres et 12 mois d’investigation, Démocratie Année Zéro autopsie les coulisses de cet événement majeur, dans sa globalité, à travers le regard des principaux opposants et révolutionnaires.

Notre avis : Résultat de plusieurs années d’investigation, Démocratie Année Zéro est un documentaire belge réalisé par Christophe Cotteret et Amira Chebli. Enfin visible dans les salles françaises, c’est un témoignage indispensable pour qui veut comprendre les origines complexes du « départ des révolutions du 21ème siècle. » Un sujet que les grands médias hexagonaux n’ont pas toujours traité avec l’approfondissement nécessaire. Mais si Démocratie Année Zéro est un documentaire, il ne se prétend pas impartial. Selon son réalisateur :«  il ne s’agit pas d’un film historique, mais de retracer l’histoire d’une révolte vue par les résistants des premières heures  ». Difficile en effet de contracter dans un long-métrage la chronologie exhaustive d’un conflit qui prend ses racines dans des décennies d’histoire. Le film propose donc une approche étrange mais finalement appropriée : celle de transposer le fil chronologiques des événements majeurs tels que filmés par la population tunisienne. Vidéos pixelisées des émeutes, issues de Youtube ou Facebook et capturées par des téléphones portables, se mélangent aux témoignages des intervenants qui reviennent sur leurs actions et leurs méthodes.

Le documentaire débute par les prémices de la grève des mineurs de Gafsa en 2008, une révolte qui va allumer une traînée de poudre qui explosera avec le départ de Ben Ali. Les dernières scènes se déroulent le 26 octobre 2011, jour des élections. Parmi les intervenants : Belgacem Ben Abdallah, leader de l’union des diplômés chômeurs puis responsable communiste, Azyz Amami, cyber-activiste et l’un des organisateurs de la journée contre la censure, l’écrivain Gibert Naccache ainsi que Moncef Marzouki, actuel Président de la République Tunisienne. Le film, découpé en deux parties, nous présente ces protagonistes dans leurs milieux respectifs et les laisse nous conter leur vision des événements et leurs espoirs à l’approche des élections où les envies de réforme se confrontent aux réalités électorales et aux besoins d’un pays à reconstruire.

Mais ce qui interpelle dans Démocratie Année Zéro et ce qui fait effectivement de la révolution tunisienne une date unique, c’est le rôle joué par la technologie. Les vidéos de très mauvaise qualité qui constituent une bonne portion du long-métrage portent en elles le souffle du renouveau. Rapidement devenues virales sur les réseaux sociaux que les intervenants ne cessent de mentionner, elles sont le dernier bastion de vérité qu’une censure gouvernementale engoncée dans le dernier millénaire n’arrive jamais à étouffer complètement. Une démonstration sans équivoque. Si un sujet si complexe que celui-ci est quasiment impossible à retranscrire sans quelques raccourcis, Démocratie Année Zéro propose néanmoins à travers ces images un tableau fascinant du futur de la contestation dans le monde arabe du 21ème siècle. Car à défaut d’être télévisée, la révolution sera pixelisée.

© Films des Deux Rives