Au bout du Pont des Arts, les académiciens français (gens distingués des arts en frac noir brodé de vert avec bicorne sur la tête et que l’on voit plus généralement à la télé section littéraire), siègent sous la notable coupole de l’Institut de France (pensées pour notre petit Jean d’O qui vient de libérer un siège, REP* Jean).
Ils priment sur concours, des artistes de toutes les disciplines. Depuis des lustres, les lauréats, qu’on nomme Grands Prix de Rome, séjournent deux années à la Villa Médicis pour travailler loin du tumulte Parisien.
« J’ai vécu pendant ces derniers mois passés à Rome d’une vie de rêve, tout entier à mon travail, tous mes efforts tendus vers un idéal élevé… » Claude Debussy
« Chère mère, ... Je m’attache à Rome de plus en plus. Plus je la connais, plus je l’aime. Tout est beau ici. Chaque rue, même la plus sale, a son type, son caractère particulier ou quelque chose de l’antique ville des Césars » George Bizet
Pour cette raison, Debussy et Bizet, y composèrent successivement des œuvres que toute la belle équipée citée ci-après donnait à entendre à la Cité de la Musique.
Quand on pense que ces deux compositeurs étaient des révolutionnaires et que leur musique, qu’on qualifie désormais de classique, faisait grincer dans les salons...
Les pièces courtes de cette programmation sont complémentaires. Les cors sont à l’honneur chez Bizet, mais la pièce émouvante est La Damoiselle élue, sur un texte du poète et peintre préraphaélite Dante Gabriel Rossetti, mis en musique pour voix de femme solo, chœur et orchestre.
Debussy confia avoir voulu composer « un petit oratorio dans une note mystique un peu païenne ».

L’adorable livret est d’une grandiose désuétude :
La damoiselle élue s’appuyait
Sur la barrière d’or du Ciel,
Ses yeux étaient plus profonds que l’abîme
Des eaux calmes au soir.
Elle avait trois lys à la main
Et sept étoiles dans les cheveux.

Dirigé par le passionné chef-danseur Tito Ceccherini, l’Orchestre National d’Île-de-France, la petite Catherine à droite, la grande Mélody à gauche, le chœur des nymphes de l’Ensemble vocal Sequenza 9.3 nous fait marcher vers le rêve.
Toutes ces beautés nous transportent par-dessus les sept collines de Rome comme un courant ascendant d’air chaud.

Tito Ceccherini (© Luc Hossepied)

Que doivent ces œuvres à la ville ? Sa température de couleur, une composition à l’image de son urbanisme organique, ses madones, l’envolée rupestre des corps vers le paradis dans la Sixtine, l’écho de sa suprématie impériale, la clé de Saint pierre en place de celle de sol ou de fa, le faste et le charme, du soleil, le regret de la France, les portées de notes comme celles courbes du linge, à sécher dans les ruelles, plus de liberté dans les croches et les accroches, les pastas con funghi de chez Marcelo, la barrière de la langue, ou une sonorité plus chantante , des mélodies folkloriques ?

Mélomanes, Grands Prix de Rome, coqs de la culture française, vous qui pensez être la réincarnation de l’art nouveau, Debussistes, vous qui aimez tant les musiques de films qui ont tout appris de ces compositeurs, Bizetistes, vous qui n’avez pas les moyens de vous payer le voyage pour un week-end, malgré les recommandations d’Etienne Daho, et les autres, la Cité de la Musique propose gratos en plus, juste avant une clef d’écoute (venir bien à l’avance pour avoir des places) et un atelier enfant… prenez vos billets pour les prochaines destinations !

*Repose en paix