Cheval de feu
Le 3 septembre 2003
Une brûlante et talentueuse biographie fictive de Rudolf Noureev.
- Auteur : Colum McCann
- Editeur : Belfond
D’Est en Ouest, un mythe revisité dans la dichotomie de son époque. Le talent de Colum McCann explose dans cette brûlante biographie fictive du danseur Rudolf Noureev.
Que n’a-t-on dit et écrit sur Rudolf Noureev, une des plus grandes stars du XXe siècle, depuis son passage à l’Ouest, en 1961, jusqu’à sa mort, il y a tout juste dix ans, des suites du sida ? Pourtant, malgré de très avisées biographies et des tonnes d’articles de presse, l’homme est resté un mystère emprisonné entre faits vérifiables et rumeurs en tous genres (qu’il a d’ailleurs souvent générées lui-même). De cette énorme masse de documents, Colum McCann a eu l’audace de s’affranchir totalement pour inventer l’histoire d’un danseur qui comme par hasard se prénomme Rudolf et, curieuse coïncidence, a vécu la même vie que celle du célèbre Noureev.
La méthode du romancier : laisser la paroles à ceux qui ont côtoyé le danseur, personnages réels ou fictifs, humbles ou célèbres, qui monologuent au fil des pages. S’y côtoient le chaussonnier de Covent Garden, une infirmière sur le front russe, le compagnon de virées sexuelles de Noureev, sa gouvernante parisienne, sa première professeur de danse, Yulia, la fille de cette dernière, (peut-être le plus beau personnage du livre), son père, sa mère, sa sœur, sa partenaire, l’illustre Margot Fonteyn... Noureev lui-même intervient brièvement dans ce patchwork de témoignages imaginaires qui nous entraîne dans une histoire si incroyable qu’aucun scénariste n’aurait osé l’inventer. Celle d’un petit Tatar doué et têtu qui, envers et contre tout - surtout son père qui le bat pour lui ôter l’idée de la tête -, assouvira son rêve.
Entre Est et Ouest, c’est une période aujourd’hui presque oubliée que ressuscite McCann : celle de la guerre froide. Capitalisme ou communisme, il faut choisir son camp. Noureev opte pour ce qu’il croit être celui de la liberté. Il y gagnera richesse et célébrité mais, à l’image du monde d’alors, il restera indéfiniment coupé en deux. Sa blessure à l’âme jamais refermée, il dansera et dansera encore pour oublier.
Dans cette aventure littéraire de recréation d’un mythe, McCann fait danser les mots pour dire celui qui était la danse incarnée. Compose des scènes d’une beauté théâtrale. Restitue des atmosphères antagonistes d’une justesse tragique : griserie de plomb et angoisse rampante en Union soviétique, richesse clinquante et valeurs factices de l’autre côté du rideau de fer. Procède à d’incessantes ruptures de ton - langage mélancolique, sentimental, prosaïque, lyrique, sarcastique ou carrément rappeur. Fait émerger petit à petit son Noureev plus vrai que le vrai, un homme en quête perpétuelle qui habitait un corps extraordinaire. Ambition teintée de la plus crasse vanité, charme incandescent et manières de paysan, provocation, compassion, travail acharné, recherche de perfection. Désordres du corps et du cœur. Charisme auquel nul ne résistait. Rien de neutre ou de petit, tout dans l’excès, comme si celui-ci devait conduire à la sagesse.
Le mystère de Noureev, sous la plume de McCann, reste somptueusement entier. Celui d’un homme qui, sa vie durant, a tenté vainement de trouver le sentiment de soi sous le regard des autres. Danseur est un livre brûlant comme Noureev, cheval de feu, a brûlé les planches, brûlé ceux qui l’approchaient, s’est brûlé lui-même. Vous brûlera par la magie de l’imagination et de la générosité de cœur d’un écrivain irlandais touché par la grâce de son sujet.
Colum McCann, Danseur (Dancer, traduit de l’anglais (Irlande) par Jean-Luc Piningre), Belfond, 2003, 370 pages, 19,50 €
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Philippe 3 novembre 2004
Danseur
Magique, fort, émouvant, tendre, cruel... les mots sont bien pauvres. Un tourbillon, une danse au-dessus du volcan, dont on sort ébloui et éreinté. Philippe