Dessine-moi l’underground.
Le 20 avril 2012
Le mythique documentaire de Terry Zwigoff bénéficie enfin d’une édition DVD collector. L’occasion de découvrir le portrait sans concession de l’un des plus grands auteurs de la bande dessinée américaine, mais aussi une oeuvre de cinéma tout aussi passionnante que singulièrement déroutante.
- Réalisateur : Terry Zwigoff
- Acteurs : George Crumb, Alice Kominsky, Charles Crumb
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Américain
- Editeur vidéo : Compagnie des Phares & Balises
- Durée : 2h01mn
- Titre original : Crumb
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- Date de sortie du DVD : 13 avril 2012
Le mythique documentaire de Terry Zwigoff bénéficie enfin d’une édition DVD collector. L’occasion de découvrir le portrait sans concession de l’un des plus grands auteurs de la bande dessinée américaine, mais aussi une oeuvre de cinéma tout aussi passionnante que singulièrement déroutante.
L’argument : Né en 1943, Robert Crumb est l’un des plus grands dessinateurs de ces cinquante dernières années. Souvent considéré comme le "héros de la contre-culture américaine" ou le "pape de l’underground", ses dessins libres et satiriques portent un regard acerbe sur la société. Fort de son amitié avec l’auteur, le réalisateur Terry Zwigoff lui a consacré en 1994 un documentaire hors norme, s’immisçant sans retenu dans la vie personnelle de l’homme pour mieux en cerner ses démons intérieurs et les origines de ses créations artistiques.
Notre avis : Cinéaste iconoclaste, Terry Zwigoff est connu dans l’hexagone pour ses fictions féroces que sont les formidables Ghost World et Bad Santa, et l’inégal mais intéressant Art School Confidential. Si Bad Santa, réalisé sous la houlette des frères Coen, ne brassait finalement que peu de sujets chers à l’auteur (son amour de la provocation mis à part), les deux autres longs métrages de Zwigoff sont d’une rare cohérence thématique. Critiques acerbes de l’hypocrisie de nos sociétés et de l’aliénation qui en résulte, Ghost World et Art School Confidential témoignent de la même affection pour les personnages marginaux, mais aussi pour l’art populaire au travers des hommages vibrants à la musique blues et à la bande dessinée. Avant de mettre en scène des fictions, Zwigoff s’est fait la main en tournant deux documentaires, eux aussi en parfaite adéquation avec ses obsessions. Le premier d’entre eux, Louis Bluie, sorti en 1986, avait pour sujet un musicien de blues oublié. Le second est ce Crumb fascinant, s’attachant à cerner la personnalité de l’un des plus grands auteurs de comics undergrounds.
Ami de longue date de Robert Crumb (ce dernier ayant notamment signé l’affiche de Louis Bluie), Zwigoff a réussi non sans mal à convaincre le dessinateur de le filmer dans son intimité. Situation paradoxale, Crumb est célèbre pour son horreur de la médiatisation et son refus catégorique de toute interview. Dés les premières images, on comprend ainsi que l’on a affaire à un homme tout aussi génial que profondément névrosé. Refusant toute utilisation d’une voix off informative risquant de mettre en péril la sensation de proximité qui s’instaure tout au long du film, le documentaire est essentiellement composé d’une succession de scènes confrontant Crumb à ses proches, que ce soient des membres de sa famille ou certains de ses amis. Avec une absence de pudeur qui frôle parfois l’indécence mais qui donne toute sa force à l’oeuvre, Zwigoff oblige ainsi son spectateur à pénétrer l’univers personnel du dessinateur, quitte à mettre à nu ses déséquilibres intérieurs les plus dérangeants.
D’apparence paisible de prime abord, Crumb est la personnification même de l’artiste déphasé dont la logique de pensée défie les normes imposées. Ouvertement névrosé, s’abandonnant très souvent à la misanthropie, le dessinateur revient sur sa carrière (c’est à dire sa vie) avec une sincérité désarmante. Si certains de ses propos et de ses moeurs peuvent apparaître comme choquants, ils poussent le spectateur à s’interroger sur son propre conditionnement et à remettre en cause certains de ses acquis. Car si Robert Crumb peut être considéré comme un asocial, sa personnalité est avant tout le produit d’une vie chaotique, mettant en lumière les dysfonctionnements d’une société devenue malade à force d’inhumanité. Elevé sous la coupe d’un père businessman, aussi affable dans sa vie professionnelle que destructeur avec sa famille, Crumb était dés le départ condamné à la marginalité. Ce n’est finalement que grâce à son talent (et à la chance) qu’il a réussi à se faire accepter malgré lui dans un monde sur lequel il porte toujours un regard terriblement désabusé.
Le documentaire appuie cette thèse en nous présentant les deux frères de Robert, véritables miroirs de ce qu’aurait pu devenir ce dernier s’il n’avait pas trouvé sa "voie". Asociaux au dernier degré, l’un vit presque à la rue, tandis que l’autre, Charles, reste enfermé avec sa mère, se shootant en permanence aux antidépresseurs, tout en lisant avec acharnement les oeuvres des grands auteurs classiques. Ce dernier (dont le destin tragique nous sera révélé au cours du générique final) est pourtant d’une rare clairvoyance sur sa condition. Bien que parfois confus, ses propos témoignent d’une très grande intelligence et d’une impressionnante sensibilité artistique, hélas anéanties par une existence particulièrement malheureuse. Car Charles, tout comme Robert, était lui aussi doué pour la bande dessinée quand il était enfant. C’est même lui qui a donné le goût du dessin à son petit frère. Voir un tel talent détruit par la vie est d’une tristesse incommensurable. A ce titre, les scènes mettant en scène Charles et Robert constituent probablement les passages les plus durs du film.
S’il n’hésite pas à s’attarder longuement sur toute cette misère humaine, Zwigoff évite cependant de sombrer dans un apitoiement déraisonné. Au contraire, sa caméra porte un regard sans jugement sur le parcours de Crumb et de ses proches, en contournant le piège de la victimisation à outrance. Les différentes interviews regorgent d’anecdotes savoureuses sur l’auteur, les intervenants se révélant parfois tout aussi déjantés que le sujet du film. Entre témoignages de rédacteurs de revues undergrounds louant le génie de Crumb, d’une éditrice de journaux pornographiques décrivant la sexualité "particulière" de ce dernier, ou encore une évocation de Janis Joplin à travers des propos de Crumb lui-même mettant en lumière certains paradoxes de la chanteuse, c’est tout le monde de la contre-culture américaine qui devient accessible au spectateur le temps des deux heures que dure le film.
Fascinant, dérangeant mais aussi profondément émouvant, Crumb est un documentaire d’une force et d’une pertinence rares, qui pousse à la réflexion tout en donnant furieusement envie de découvrir l’oeuvre gigantesque d’un auteur encore trop méconnu dans nos contrées. Une sortie à saluer donc, pour un film qui méritait les honneurs d’un DVD collector.
Le DVD
L’éditeur ne nous ayant fourni qu’une copie du film - techniquement de bonne facture pour un documentaire tourné dans des conditions proches de l’amateurisme -, on ne peut que spéculer quant à la qualité des deux autres featurettes présentes dans le coffret DVD. Interview d’une trentaine de minutes de Robert Crumb et de sa femme Aline, "Parlez moi d’amour" semble laisser la liberté au couple de revenir sans tabou sur leur relation sentimentale. Le sujet n’étant finalement que peu évoqué dans le documentaire de Zwigoff, on est extrêmement curieux de découvrir cet entretien qui promet d’être riche en propos surréalistes.
L’autre supplément, "R.Crumb et la musique", se présente comme une évocation en 16 minutes de la passion du dessinateur pour le blues des années 20. Une fois encore, quand on voit avec quelle verve Crumb s’exprime sur le sujet dans le documentaire de Zwigoff, on est impatient d’en apprendre davantage, d’autant plus que le coffret contient aussi un CD de cinq morceaux portant sur la même thématique.
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