Les deux premiers volumes
Le 14 février 2018
Le fanzine Darkness est devenu une collection, chez l’éditeur Lettmotif. Historiens du cinéma, juristes, journalistes et universitaires se questionnent sur la censure au cinéma. Gore et violence pour le premier tome, sexe et déviances pour le tome deux, tout un programme !
- Editeur : LettMotif
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur
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Notre avis : Excellente nouvelle que celle de voir le fanzine Darkness se transformer en collection, chez l’éditeur Lettmotif.
Créé en 1986 par Christophe Triollet, cette parution auto-produite se consacre d’abord au cinéma d’exploitation au sens large. Au fil des ans, les articles deviennent de plus en plus fouillés et documentés, notamment avec un numéro en 1990 dédié à la question de la censure. Mais c’est surtout avec un come-back en 2010, après 19 ans d’absence, que la parution acquiert une qualité nouvelle.
Universitaires, historiens du cinéma, juristes, journalistes abordent alors cette thématique de la censure au cinéma sous divers angles : le 11e numéro se penche sur la violence, le 12e sur la sexualité, le 13e sur la politique et la religion. Les deux premiers volumes publiés chez Lettmotif conjuguent divers articles écrits entre cette renaissance de Darkness en 2010 et l’année 2016, le premier sur le gore et la violence, le second sur le sexe et les déviances, tout cela en un peu moins de 400 pages. Inutile de dire que le contenu est riche et on ne peut plus d’actualité. Les points de vue touchent autant au sociologique qu’au juridique en passant bien sûr par des analyses filmiques.
Le premier tome s’intéresse donc aux interdits qui entourent la mort, le meurtre et leurs représentations. Une réflexion sur le besoin de transgression et un retour sur l’histoire du gore s’imposent pour débuter l’ouvrage composé d’une bonne trentaine d’articles. Qui de mieux choisi que Philippe Rouyer, auteur du classique Le cinéma gore. Une esthétique du sang (Le Cerf, 1997), pour prouver que cette violence des images était bien présente dès le début du cinéma, par exemple dans la séparation des sœurs siamoises filmée par le Dr Doyen en 1898, dans la décapitation des Incendiaires (1906) de Méliès ou dans l’œil tranché du Chien andalou (1929) de Luis Buñuel. Julien Bono revient, quant à lui, sur les racines du gore dans le Grand Guignol. Bien sûr, le livre rend hommage au "Wizard of Gore" Herschell Gordon Lewis, et à de nombreux films qui ont fait date et qui ont eu de sérieux soucis avec la censure (Massacre à la tronçonneuse, Zombie, Maniac, Le Sadique à la tronçonneuse...).
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Quelques plans gore mythiques sont évoqués également (Les Yeux sans visage, Le Masque du démon, Mondo cane...). Plusieurs pages sont ensuite consacrées au slasher, avec deux approches distinctes. Lionel Trellis établit le cahier des charges du genre, en soulignant une certaine "morale puritaine". En revanche, Florent Christol pense que si le slasher a été considéré comme misogyne ou réactionnaire, c’est bien car le film Halloween de John Carpenter a créé un malentendu. En effet, le meurtrier dans ces films est souvent une victime pathétique et monstrueuse proche du freak plutôt qu’un tueur psychopathe maléfique. L’auteur rebaptise ainsi le slasher en "foolkiller movie" pour aborder ce thème de la vengeance de la victime persécutée qui se retourne contre ses bourreaux, une tradition plus à trouver dans Carrie ou Christmas Evil qu’Halloween.
En mettant ces raisonnements en écho à la politique sociale et la crise parentale des années 70/80, Christol propose un article de haut niveau, où ces assassins qui agissent au nom de la morale en révèlent beaucoup sur la représentation grotesque d’une jeunesse en révolte contre une culture qui stigmatise les faibles. Avec la systématisation de l’identification à la Final Girl, l’article accentue le rejet progressif de la contre-culture dans les années 80 et le retour aux valeurs conservatrices des années Reagan.
Pour sa part, Benjamin Campion aborde le gore dans les séries télévisées (pour lequel les séries médicales ont fait beaucoup !) alors que Fred Bau questionne la sexualité viscérale et le "surnaturalisme" des films de David Cronenberg, avant de s’intéresser plus tard à la période américaine de Paul Verhoeven, avec notamment La Chair et le sang. Yohann Chanoir développe l’analyse de ce dernier long métrage en voyant une préhistoire du gore dans les films à décors médiévaux. D’autres grands réalisateurs du genre sont passés en revue : Lucio Fulci par le spécialiste Lionel Grenier, Lucifer Valentine, le créateur du "vomit gore", par Sébastien Lecocq ou (plus étonnant) Akira Kurosawa par Eric Peretti. Le phénomène des "video nasties" est largement étudié, ainsi que les différentes perceptions de la violence selon les pays (notamment en Asie). Albert Montagne insiste sur une censure méconnue du cinéma français, celle des films X Violence. On s’aperçoit ainsi que les sanctions sont attribuées sur des critères ultra subjectifs et souvent absurdes quand appréhendés avec le recul des années. Albert Montagne s’intéresse aussi aux représentations des tortures de l’Inquisition au cinéma alors qu’Alan Deprez essaie de trouver des exemples fructueux (rares) de longs métrages qui mêlent horreur et pornographie, dans la lignée de Hard Gore (1976) de Michael Hugo ou des films de Shaun Costello (Forced Entry, 1973 ; Water Power, 1977). Christophe Triollet ausculte, quant à lui, les snuff movies, le torture porn, la campagne publicitaire assez drôle du film Martyrs, la différence juridique entre "violence suggérée" et "violence dévoilée", ainsi que la question du mimétisme et de la supposée influence "néfaste" de la représentation de la violence. Jean-Baptiste Guegan souligne d’ailleurs : "[P]enser la violence au cinéma, c’est autant penser l’Histoire du cinéma que regarder par le médium la société et plus sûrement l’homme en face". On notera aussi le très bon papier de Bernard Joubert sur les revues interdites d’exposition et donc de diffusion en France (Creepy, Monster Mag, Stars System, Wampir...).
Un premier volume qui mêle sérieux et humour pour questionner les limites de ce qui est montrable, et qui se complète forcément avec le second livre, plus fourni encore bien que des échos entre certains textes auraient pu être évités (le cas Baise-moi revient par exemple à plusieurs reprises). Le sexe et les déviances en sont le sujet, et la question du classement X et de l’obscénité sont ici primordiales. Là encore, la représentation de l’acte sexuel non simulé à l’écran est abordée d’abord d’un point de vue historique. Du carré blanc aux visas de censure, du code Hays à la loi française du 30 décembre 1975, condamnant les films à caractère pornographique aux salles spécialisées, on s’aperçoit là encore que les limites de l’indécence sont variables selon les pays et les époques. Comment un petit film porno plutôt bien ficelé comme L’Essayeuse (1976) de Serge Korber a-t-il pu être condamné à être brûlé sous prétexte d’atteinte à la dignité humaine ? Et bien sûr les règles sont faites pour être transgressées et le livre rend hommage à tous ces artistes de la subversion, notamment Luis Buñuel dont l’œuvre est explorée dans deux articles passionnants d’Albert Montagne. Isabelle Labrouillère souligne une obscénité disparue dans le domaine pornographique devenu trop codé et normé alors qu’un certain cinéma d’art et essai redonne chair aux images et renoue avec l’idée d’images choc.
Il est bien loin le temps où le public s’offusquait devant le premier baiser filmé en gros plan, dans Le Baiser (1896) de William Heise. Avec beaucoup d’humour, Jean-Pierre Putters revient sur les critiques hautes en couleurs du Répertoire général des films où des abbés s’improvisent critiques de cinéma dès 1958, et se délecte de nous lister des titres de pornos parodiques absolument délicieux : Scarfesse, Quai des burnes, 20 000 vieux sous Mémère, Le Gland Bleu, etc. Laurent Garreau nous permet, quant à lui, de lire quelques comptes rendus de commissions (sur La Grande Bouffe, les Contes immoraux ou Les Valseuses) afin de montrer l’évolution de la censure. Dans "40 ans de réglementation en France", Triollet développe le carcan fiscal de la loi X et fait le parallèle avec d’autres pays (Canada, États-Unis) quant à une censure qui est toujours très actuelle. Il est intéressant de voir qu’en France, le classement X ne fait aucune distinction entre les différents types de pornographie (gay, hétéro, SM, etc.) et que cette loi a elle même généré cette étrange pratique : le caviardage, ou "truffage" comme préfère le dire Christophe Bier, de plans hard dans des films soft, parfois tout à fait anodins. Un des grands spécialistes de ces métrages "hardifiés" était Georges Combret.
L’ouvrage revient avec force détails sur des cas précis : 9 Songs en 2004, du réalisateur britannique Michael Winterbottom, Histoires de sexe(s) d’Ovidie et Jack Tyler en 2009, Clip de Maja Milos en 2012, Sausage Party en 2016, et bien sûr L’Essayeuse et Baise-moi traités dans différents articles. Les angles sont variés et les sujets tous aussi passionnants les uns que les autres : les interdictions d’affiches par Christophe Triollet, la pornographie au féminin par Alain Brassart, les tabous dans le monde et la nazisploitation par Lionel Trellis, les corps-objets et les différentes perversions des cinémas asiatiques par Yohann Chanoir, l’hypersexualisation de l’enfance en Asie par Sébastien Lecoq, la bestialité et zoophilie par Eric Peretti, etc. Alan Deprez n’oublie pas ces genres fondamentaux dans le domaine que sont les mondo movies et les films de cannibales et propose aussi un voyage dans le "Kinkniverse". La palme revient à l’article d’Agnès Giard sur le marché des vidéos pour adultes au Japon, avec des tas de tendances farfelues pour un marché saturé de sexe. Vous connaissez les vidéos de léchage de poignées de porte ? Un délice absolu qui justifie à lui seul l’achat de ce second volume. Le troisième opus sur la politique et la religion est annoncé pour très bientôt et promet là aussi de grands moments.
Darkness, censure et cinéma (2. Sexe & déviances)
12,90 € – 29,00 €
Collection dirigée par Christophe Triollet
Format 13×21, 380 pages
ISBN 978-2-36716-207-2 (broché)
ISBN 978-2-36716-208-9 (cartonné)
Darkness, censure et cinéma (1. Gore & violence)
12,90 € – 29,00 €
Collection dirigée par Christophe Triollet
Format 13×21, 340 pages
ISBN 978-2-36716-205-8 (broché)
ISBN 978-2-36716-206-5 (cartonné)
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