Le 11 novembre 2021
Pour ses premiers pas en tant que réalisatrice, Rebecca Hall travestit le genre du mélodrame et compose avec Clair-obscur une métaphore cruelle de la condition afro-américaine et ses paradoxes, pour ensuite conclure sur un cauchemar innommable, celui de l’impossible intégration. Un double portrait de femme au pouvoir d’attraction fascinant.
- Réalisateur : Rebecca Hall
- Acteurs : Rebecca Hall, Tessa Thompson, Alexander Skarsgård, Bill Camp, Ruth Negga
- Genre : Drame, Thriller, Mélodrame, Noir et blanc, Drame social
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Netflix
- Durée : 1h40mn
- Titre original : Passing
- Date de sortie : 10 novembre 2021
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Résumé : Dans la ville de New York des années 1920, une femme noire voit son monde bouleversé lorsque sa vie se mêle à celle d’une ancienne amie d’enfance qui se fait passer pour blanche.
Critique : Après une brillante carrière d’actrice, l’interprète respectée Rebecca Hall s’attaque à la réalisation avec son premier long métrage sobrement intitulé Clair-obscur ou Passing dans sa version originale, l’occasion pour elle de dompter sa force créative au sein d’un exercice de style brillant autant qu’une solide démonstration de force de la part de la cinéaste reconvertie. Rebecca Hall n’a aucunement l’intention de se contenter du schéma dramaturgique classique du mélodrame hollywoodien. Dans le cœur névralgique de Clair-obscur, il y a deux femmes : Clare et Irene, deux amies d’enfance que la vie a vraisemblablement séparées. Des années plus tard, le miracle survient. Elles se retrouvent par hasard dans la salle de réception d’un grand hôtel new-yorkais : l’une est une mère de famille respectable, l’autre matérialise ce qu’on pourrait appeler l’antéchrist de la cause noire. Peu importe les différences entre la bourgeoise éduquée et la compagne battue : la réalité les rattrape toutes deux. Scénarisé par Rebecca Hall elle-même, qui semble vouloir maîtriser toutes les composantes du métrage, le film dénote une admirable capacité d’écriture symbolique. Clair-obscur confronte deux trajectoires radicalement opposées, deux portraits de femmes déchirées, meurtries, constamment sur le qui-vive et surtout déterminées à reprendre le contrôle de leur vie, quel que soit le prix à payer. Construit comme un cauchemar social sans possibilités d’échappatoires, Clair-obscur se veut comme une métaphore cruelle de la condition de la communauté afro-américaine aux États-Unis et ses paradoxes, pour ensuite achever le récit sur un cauchemar innommable, celui de l’impossible intégration. De fait, Rebecca Hall, consciente de la richesse thématique inviolable de son geste artistique, ne cesse d’alterner scènes intimistes, quelque fois à l’orée du surnaturel, et séquences coup de poing : un fabuleux terreau pour faire ressurgir les obsessions américaines quant au machisme, au lien intrinsèque entre pouvoir et corruption ou bien encore à la ghettoïsation raciale omniprésente.
- Copyright Emily V. Aragones/Netflix
Pour son premier film, Rebecca Hall a ainsi choisi le cadre relativement cloisonné de l’Amérique de l’entre-deux-guerres pour explorer la nature humaine dans ce qu’elle a de plus cruel. La cinéaste s’amuse à travestir les codes du film d’époque en y amenant une touche résolument moderne. Pour servir sa démarche, elle a réuni un casting impressionnant, à commencer par Tessa Thompson. L’actrice montante, déjà vue dans la série Westworld, trouve enfin un rôle à sa hauteur en livrant une composition fascinante teintée de micro-expressions trahissant par intermittence le masque social qu’elle s’est évertué de porter. Les regards qu’elle échange avec Ruth Negga sont autant de diamants bruts, semblables à des instants suspendus dans le temps où le silence vaudrait mieux que mille mots. Chacune des deux interprètes réussit à entrer avec délectation dans l’univers glaçant et faussement cynique de Clair-obscur, au point où le spectateur se demande qui est vraiment l’intruse dans cette maison, tant on n’arrive plus à discerner le vrai du faux, l’artifice du véridique, le miroir déformant de la copie conforme. On ne peut que constater le talent irrémédiable de Rebecca Hall à diriger ses acteurs et sa réalisation prolonge à merveille les relations venimeuses qu’entretiennent ces personnages. La mise en scène millimétrée, jouant sur l’architecture de la maison d’Irene pour mieux cadenasser les protagonistes et leurs émotions, demeure exceptionnelle. Le grand angle les étouffe, la profondeur de champ brise la perspective et distord les murs, la lumière aveuglante et surexposée des fenêtres isole les protagonistes du monde extérieur, la cinéaste use de tous les moyens scénographiques à sa disposition pour prolonger son geste artistique de la plus fabuleuse des manières. Manipulation, colère, passion, avidité, toute l’ambivalence de la psyché humaine se cristallise à mesure que Clair-obscur se déploie. Dans la droite lignée du cinéaste Douglas Sirk, jadis observateur minutieux de l’Amérique contemporaine, Rebecca Hall dépeint une société arbitraire où, pour échapper à son statut social, il faut faire preuve d’un individualisme invétéré. Elles ignoraient toutes deux qu’à ces liaisons dangereuses elles allaient se brûler. Le triangle amoureux qui prêtait à jaser devient alors affreux. Et derrière cette tyrannie du paraître, une fois le maquillage retiré, se cache en réalité un fantôme.
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