L’école, cette passion française
Le 28 décembre 2024
De bonne facture, l’œuvre emprunte les carcans conventionnel du genre pour actualiser une réflexion sur le système éducatif, mais dans un style documentaire très classique.
- Réalisateur : Hélène Milano
- Genre : Documentaire, Teen movie
- Nationalité : Français
- Distributeur : Dean Medias
- Durée : 1h47mn
- Date de sortie : 22 janvier 2025
- Festival : Festival de Cannes 2024
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Résumé : Quartier de la Goutte d’Or à Paris, métro Château Rouge, collège Georges Clémenceau. Chargés de leur insouciance et de leurs blessures, les adolescents doivent grandir. Ils construisent leurs personnalités, se perdent, se cherchent. Les adultes tentent de les guider malgré la violence du système.
Critique : L’école, cette passion française. Au marronnier journalistique, le cinéma français creuse depuis longtemps une veine analogue, qu’elle emprunte les chemins du documentaire ou de la fiction. Début des années 2000, Nicolas Philibert connaît le plus gros succès de sa carrière en dépassant le million six cent mille entrées avec Être et avoir. Six ans plus tard avec Entre les murs, Laurent Cantet frôle le même score en adaptant le roman de François Bégaudeau, lui-même succès de librairie. Viennent ensuite (non exhaustif et sans ordre) : Sur le chemin de l’école, Parents d’élèves, La Vie scolaire, Un métier sérieux, L’école est à nous, Les Grands esprits, Le Maître et l’enfant, Les Héritiers, La Cour de Babel, etc. Depuis, le film sur l’école est un tube, une drogue presque, tant le public semble ne pas se lasser de la thématique, sempiternellement présente sur nos petits et grands écrans, dans les sorties littéraires, au journal télévisé de vingt heures, dans les débats de société ou les discussions de quartier.
À cette aune, le « documentaire sur l’Éducation nationale en crise », un des sous-genres les plus appréciés du « film sur l’école », doit jouer des coudes pour exister sans être éclipsé par une rude concurrence. Il peut sembler injuste de juger une œuvre non comme une entité autosuffisante, mais au regard de ce qui la précède et l’englobe. Pourtant, le sujet qu’aborde Hélène Milano dans Château Rouge est trop balisé, trop traité, pour que son visionnage n’aille pas de pair avec l’interrogation suivante : comment la réalisatrice se démarque-t-elle, apporte-t-elle sa pierre au déjà très large édifice ?
- © 2024 TS Productions. Tous droits réservés.
Force est de constater que les gages d’originalité sont minces. Dans sa forme, du moins, peu de coups d’éclat à l’horizon. De bonne facture, l’œuvre emprunte le carcan conventionnel du genre : scènes de cours (supplément chahuts) ; confrontations élèves - profs ; discussions parents - profs ; interviews face caméra des élèves, se livrant sur leurs doutes, inquiétudes, colères ; quelques moments de complicités entre jeunes dans la cour de récré ; une poignée de rires, pour contrebalancer, entre les élèves et quelques-uns des éléments les plus chill du personnel enseignant. Le tout filmé dans le style documentaire classique sans voix off que nous avons tant vu. Seuls quelques maigres moments se démarquent : ici le plan contemplatif d’un élève marchant seul, sous la pluie, dans la cour ; là la danse de deux garçons. Bien que de bonne tenue, cette manière suscite un sentiment de redite.
Le film se singularise davantage par son angle : les orientations. Pour la majorité des élèves mis en avant, venus de population économiquement et socialement défavorisée, en large part issus de l’immigration africaine, le passage du collège au lycée est lourd de conséquences. Nombre d’entre eux n’ayant pas de dossier scolaire suffisamment musclé, ils se préparent aux filières professionnelles, leur visage résigné déjà proche de celui de l’adulte mettant de côté ses rêves pour subvenir à sa survie matérielle. S’intéresser au passage de la troisième à la seconde pose donc un état de fait scandaleux : à tout juste quinze ans, alors qu’une bonne partie d’entre eux n’est pas même pubère, l’avenir des enfants est déjà tout tracé. Le film recueille lors de certaines interviews face caméra des inquiétudes et déceptions bouleversantes - à l’image de ce jeune homme, Bilel, qui, encore en troisième, se désole du temps perdu, réalisant soudain que les récentes années d’insouciance étaient en fait décisives pour toute son existence (entre ses onze et ses quinze ans !).
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Si le film a sur ce point la force de l’illustration, rendant édifiant par les images et les mots des réalités connues mais trop souvent réduites à des statistiques, le fond abordé est (comme toujours) subordonné à la forme – ici, comme déjà dit, assez convenue. Le spectateur de Château Rouge se déplorera donc avec le film du constat amer dressé, mais nulle solution, nulle explication même n’est adressée à cet échec de l’Éducation nationale.
Plus encore que « l’école » ou « les orientations », le problème, on le sait, est la reproduction sociale quasi systématique, et par extension une reproduction tout aussi systématique des inégalités sociales. En ce sens, nommer le film du nom du quartier parisien de résidence des élèves plutôt que de celui du collège (Georges Clémenceau) est une riche idée. Ce choix laisse espérer une belle démarche matérialiste : remettre en perspective les difficultés scolaires présentes à l’écran avec des déterminismes sociaux plus larges. L’échec de ses enfants à atteindre les filières classiques lycéennes est moins un échec scolaire, que la résultante d’un environnement, de conditions économiques et sociales d’existence, de politiques d’aménagement de la ville, etc. Or, si le film ne contredit jamais cette piste – le réel filmé ne ment pas, la majorité des élèves sont issus de l’immigration maghrébine ou sub-saharienne, et les quelques plans filmés non loin de l’école confirment cette impression de ghetto pauvre – extrêmement peu de temps d’écran est pour autant consacré aux familles des élèves, à leurs lieux de vie, aux histoires et professions de leurs parents, à ce que la socialisation par les pairs créé de handicaps à la scolarité, etc. Aussi peu soutenu par le film lui-même, l’efficacité du titre est réduite au paratexte.
Finalement, l’intérêt profond du film d’Hélène Milano est de réactualiser une interrogation sur la place de l’école dans notre société à l’aune des récents éléments exogènes au film lui-même – la compréhension par chacun du sujet, les débats médiatisés récents (La France nulle en mathématiques, l’abaya, Parcoursup, les enfants et les réseaux sociaux, la tenue « républicaine »). La vivacité de la thématique dans les débats fait de Château Rouge, pas plus que la moyenne des films traitant le même sujet, mais pas moins non-plus, une nouvelle occasion de s’interroger sur ce réel, d’en discuter avec ses proches, de bucher à des solutions, dans son coin ou tous ensemble.
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