Le 21 novembre 2016
Une œuvre inclassable, noire et esthétiquement soignée.
- Réalisateur : Roy Andersson
- Acteurs : Lars Nordh, Hanna Eriksson
- Genre : Comédie, Drame
- Nationalité : Suédois, Norvégien, Danois
- Editeur vidéo : Potemkine
- Durée : 1h36mn
- Titre original : Songs from the Second Floor
- Date de sortie : 11 octobre 2000
- Festival : Festival de Cannes 2000
L'a vu
Veut le voir
– Sortie Blu-ray : le 6 décembre 2016
Résumé : Un soir quelque part dans notre hémisphère, une série d’événements étranges s’enchaînent sans logique apparente : un employé est licencié de façon humiliante, un immigre est violemment agressé dans la rue... Parmi ces personnages singuliers se détache Karl, au visage couvert de cendres. Il vient de mettre le feu a son magasin de meubles afin de toucher la prime d’assurance. Cette nuit-là, personne ne réussit à dormir. Le lendemain, les signes d’un chaos imminent commencent à apparaître. Karl prend conscience de l’absurdité du monde et combien il est dur d’être humain.
Notre avis : Chansons du deuxième étage fut, pour beaucoup d’entre nous, la révélation d’un cinéaste singulier, qui divisa profondément la critique, versée soit dans l’enthousiasme dithyrambique, soit dans le rejet violent. De tiède, il ne s’en trouva pas, tant Andersson, par son cinéma radical, ne peut laisser indifférent. En fait, il pose un problème vieux comme le monde, souvent jugé obsolète et pourtant prégnant : le conflit du fond et de la forme ; ses films sont-ils de somptueuses coquilles vides, à l’esthétique aussi glacée que vaine ou cette mise en scène est-elle en elle-même une réflexion, un regard porté sur notre société et qui dépasse une jouissance morbide ? Si Andersson n’est pas le seul formaliste du septième art, il en est l’un des plus polémiques, l’un des plus emblématiques.
On serait bien en peine de résumer Chansons du deuxième étage : des personnages récurrents s’y lamentent à juste titre (licenciés, malades, voire morts), et le film lui-même est une sorte de lamento, presque de requiem pour une civilisation déchue ; hormis ce très vague résumé, l’intérêt du métrage réside évidemment dans les multiples détails d’une mise en scène-dispositif ; car Andersson est davantage plasticien que cinéaste et ses œuvres ressemblent à des installations. Des plans-séquences, quasiment toujours fixes (sauf erreur de notre part, un seul travelling, à la gare, accompagne Kalle), une esthétique glacée (éclairage étal, retrait des couleurs), des cadrages démonstratifs et une grande profondeur de champ définissent de manière radicale ses choix contraignants ; on imagine sans peine le travail et la réflexion que nécessitent pareilles obligations. Ajoutons que les personnages sont souvent vieux, plutôt laids, quand ils ne sont pas grimés et que la seule enfant qui apparaît, on y reviendra, est sacrifiée du haut d’une falaise. Aussi le malaise s’installe-t-il très vite devant ce spectacle déprimant qui semble prendre plaisir à privilégier le morbide.
Mais c’est que le monde qu’ Andersson enregistre, le monde tel qu’il le voit, est un monde malade, en phase terminale, déshumanisé : les passants ne bougent pas quand un homme se fait frapper, on licencie, on frappe, la bourse décide de la vie ou de la mort. Aucune institution ne viendra nous sauver : le médecin pourrait être un malade déguisé et de toute façon il ne semble pas prêt à soigner, perdu qu’il est dans un conflit-cliché avec son infirmière qui veut qu’il divorce ; le pasteur a d’autres problèmes que ceux du protagoniste et les raconte par le menu ; les militaires sont d’anciens nazis ou des marionnettes d’apparat. Avec eux toutes les croyances ont disparu et il n’est pas anodin que le film se termine dans une décharge où s’entassent des statues du « raté crucifié ».
Sur quoi peut-on encore compter ? Les familles semblent se résumer à des couples stériles, fripés, et quand l’un semble pris de désir, l’autre refuse. Il n’est pas jusqu’au langage, rare dans cette œuvre mutique, qui ne tourne à vide dans des formules toutes faites et privées de sens (« on a fait ce qu’on a pu », « il y a un temps pour tout » …). On le voit, le nihilisme dont fait preuve Andersson est des plus radicaux et l’on comprend qu’il puisse faire l’objet d’un rejet global. Son humour même est des plus sinistres et n’arrache qu’un léger sourire aux mieux disposés des spectateurs.
On pourrait même lui reprocher de trouver des cibles faciles, telles que la financiarisation, l’église ou l’armée. Pourtant il nous semble que le film va beaucoup plus loin qu’une simple dénonciation : Andersson constate, et le plan fixe est à cet égard révélateur, que nous sommes devenus immobiles, figés ; notre civilisation est vieille, fatiguée et pour tout dire déjà morte. Le réalisateur enregistre l’invasion progressive des morts : d’abord des vivants qui leur ressemblent, véritables zombis qui n’agissent plus que mécaniquement, puis des suicidés, des pendus, et peu à peu l’écran est envahi par les décédés. Au fond, semble-t-il nous dire, notre monde est mort parce qu’il ne réagit plus. Pire encore, la morale s’inverse, puisque la seule cérémonie qui puisse encore rassembler les élites est le sacrifice rituel d’une petite fille, célébré en grandes pompes et le commentaire des officiants ivres, vomissant, est le constat d’échec de cette morale inversée : « Nous avons sacrifié une jeunesse prometteuse. Que pouvons-nous faire de plus ? » ; on pense alors à cet autre grand cinéaste morale qu’est Bresson : le constat est le même, nous sommes inspirés, mais par « le Diable probablement ». Dans ce monde obtus, incohérent, où les hommes ne savent plus communiquer, où les immeubles se déplacent, où rien n’a plus de sens, ne reste que la fuite dans le Mal, dernier sursaut de vitalité, aussi cruel que vain. Résonne alors la question d’un personnage, prisonnier d’un embouteillage, d’un bar et en dernière analyse, du cadre : « Quelqu’un sait comment on peut sortir d’ici ? »
Les suppléments :
Bien que très court, l’entretien avec le réalisateur est éclairant sur ses choix et son mode de travail (4 minutes). Mais, avouons-le, ce sont les deux publicités tournées par Andersson, d’un humour froid et en plan-séquence, qui ont fait notre joie. Où l’on découvre aussi la matrice d’un style si singulier.
L’image :
Magnifique : la copie restaurée rend compte de l’esthétisme froid, aseptisé, décoloré, avec une précision d’anthologie.
Le son :
La seule piste en suédois sous-titrée (DTS-HD 5.1) est presque sur-dimensionnée pour ce film mutique ; mais les bruitages, les quelques dialogues et la musique (les chœurs dans le métro en particulier) sont tout de finesse.
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.