Où sont les flammes ?
Le 29 août 2018
Pour son grand retour à Cannes, c’est dans un étonnant thriller poétique que nous plonge Lee Chang-dong. Au-delà de l’émotion qu’il suscite par la force de sa mise en scène inspirée, c’est avant tout vers un message nous poussant à reprendre notre vie en mains.
- Réalisateur : Lee Chang-dong
- Acteurs : Steven Yeun, Yoo Ah-in, Jeon Jong-seo
- Genre : Drame, Thriller, Mélodrame
- Nationalité : Sud-coréen
- Distributeur : Diaphana Distribution
- Durée : 2h28mn
- Titre original : 버닝 / Beoning
- Date de sortie : 29 août 2018
- Festival : Festival de Cannes 2018
L'a vu
Veut le voir
– Compétition officielle Cannes 2018
Résumé : Lors d’une livraison, Jongsu, un jeune coursier, tombe par hasard sur Haemi, une jeune fille qui habitait auparavant son quartier. Elle lui demande de s’occuper de son chat pendant un voyage en Afrique. À son retour, Haemi lui présente Ben, un garçon mystérieux qu’elle a rencontré là-bas. Un jour, Ben leur révèle un bien étrange passe-temps…
Critique : Huit ans après son dernier film (le très beau Poetry qui gagna le Prix du meilleur scénario en 2010), le Coréen Lee Chang-dong est de retour sur la Croisette avec une fiction qui exploite son sujet de prédilection : le parcours rédemptoire de personnages de laissés-pour-compte. En adaptant la nouvelle Les Granges brûlées, du Japonais Haruki Murakami, le cinéaste s’assure un traitement qui mêle description d’une vie quotidienne déprimante et un thriller à l’inverse exaltant. A travers les yeux du personnage de Jongsu, on assiste à un spectacle dont le discours social alarmant est la preuve que Lee Chang-dong cherche à emmener son cinéma vers une strate qui dépasse le seul naturalisme attendrissant.
C’est plus précisément la passivité de Jongsu face aux évènements qui nous permet de nous identifier à lui, bridés que nous sommes dans notre impuissance de spectateurs. Cette idée de partager un tel point de vue a pour conséquence de mieux partager sa frustration face à cette idylle qui naît entre Haemi, une jeune fille dont s’est récemment amouraché, avec Ben, ce bellâtre dont on ne sait rien sinon qu’il est plein aux as. Voir ainsi ce garçon dont la vie est déjà si peu glorieuse se retrouver à tenir bêtement la chandelle rabat les cartes du schéma classique du triangle amoureux.
- Copyright Diaphana Distribution
Le cinéaste n’hésite pas à prendre son temps (au grand dam de certains festivaliers épuisés) mais en profite pour nous offrir au passage quelques scènes intimistes d’une beauté lyrique bluffante et pour mieux approfondir son personnage principal. Le voir, encore une fois dans une situation comparable à la notre, assister au procès de son père, ou essayer vainement d’écrire un roman dans la veine de son modèle William Faulkner, permet de mieux capter le caractère asthénique de cet individu qui n’arrive pas à trouver une direction à donner à sa vie. Le piège serait alors de penser que c’est en réalité Lee Chang-dong qui n’a nulle part où mener son film, mais ce serait se tromper très lourdement.
Contre toute attente, c’est finalement Ben qui va le libérer de cet état léthargique. A mi-parcours, c’est par la force d’une étonnante révélation, suivie de la disparition de Haemi, que le personnage, mais aussi par extension le rythme du film, va sortir de sa torpeur. La peur de cet homme issu d’une classe sociale supérieure à la sienne devient alors le moteur de Jongsu, qui se voit obligé de courir stérilement après ses propres phobies, à défaut d’avoir su être actif au moment où il aurait encore pu gagner le cœur de sa copine.
- Copyright Diaphana Distribution
On pourra toujours reprocher au réalisateur d’avoir été un peu trop démonstratif dans l’image qu’il donne de cette Corée partagée entre des pauvres, invisibles, enfermés dans leur précarité et vivant dans la peur, et des riches qui peuvent se permettre tout ce qu’ils veulent sans avoir à se soucier de la justice. Pourtant, son film carbure à la force d’une poésie romanesque et d’une profondeur psychologique qui dépasse de très loin ce seul état de fait. Grâce à un usage plus qu’astucieux de non-dits et d’une perversité latente, c’est bel et bien vers un thriller oppressant qu’il parvient à mener progressivement son long-métrage, tout en ne nous donnant jamais la clef pour savoir s’il s’agit concrètement d’un véritable pamphlet dénonçant une domination sociétale ou l’histoire d’une jalousie compulsive qui vire à la névrose.
Une telle densité thématique emballée dans l’écrin d’une mise en scène flamboyante, voilà le beau cadeau que Lee Chang-dong a offert à ce Festival de Cannes. Sa plus grande réussite est d’avoir su mettre sa délicatesse habituelle au profit d’une intrigue criminelle retors. On peut aussi le féliciter d’avoir su explorer cette piste si délicate qu’est celle de la recherche de l’inspiration via cette scène finale qui n’est véritablement utile qu’à la condition de la percevoir comme la prolongation mentale de la précédente. Autant d’arguments qui font de ce long-métrage un prétendant sérieux à l’obtention d’une place au palmarès.
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.