Saudade
Le 3 octobre 2005
Lobo-Antunes réinvente le langage et la narration et fait de la guerre d’Angola le théâtre du démantèlement du monde.
- Auteur : Antonio Lobo-Antunes
- Editeur : Christian Bourgois
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Portugaise
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Antonio Lobo-Antunes réinvente le langage et la narration et fait de la guerre d’Angola le théâtre du démantèlement du monde.
Nous sommes en Angola. La guerre fait rage tandis que des fortunes se construisent sur le chaos. Un trafic de diamants, des agents portugais envoyés pour liquider les brebis galeuses et qui s’engluent eux-mêmes dans la fange d’un pays qui n’existe pas.
La trame, comme presque toujours chez Lobo-Antunes, se réduit à presque rien. Mais c’est justement dans ce flou qu’explose l’imagination, libérée des contraintes du réel. Comme toujours, les voix se répondent, s’entrecroisent, se répètent, s’enroulent. S’enroulent, surtout, puisque, infatigable, Lobo-Antunes réinvente encore et encore le langage, l’écriture, dans une narration qui s’égare très loin de la ligne droite et tourne sur elle même, déposant à chaque spirale des bribes d’histoires, des mots, des images, des couleurs, des strates qui vont finir par dessiner des silhouettes, des destins, des vies.
Des mots reviennent, des phrases, comme les marques indélébiles d’un insupportable passé, fixant peu à peu les angoisses et les démons des voix qui se succèdent.
En arrière-fond, une Afrique ensanglantée charrie ses cadavres dans les ruines de sa splendeur passée, une splendeur coloniale qui elle aussi a beaucoup à cacher. Des secrets de famille, des mésalliances, des misères de blancs, qui, quoi qu’on fasse, ne seront jamais aussi sordides que des misères de noirs.
Au dessus de la mêlée, un empire portugais à l’agonie brandit une puissance perdue et l’image flamboyante de son passé. Car l’Angola n’existe plus, pas plus que n’existe le Portugal. Il ne reste que les images de deux fantômes qui tentent vainement de prendre chair dans le souvenir de l’autre. Le Portugal mythique n’est que le havre mille fois rêvé des exilés en mal de patrie, une puissance coloniale rendue aux œillets de 75. L’Afrique d’avant la guerre, c’est un monde d’un autre temps qui n’existe que pour ceux qui ont refusé de le voir mourir.
Le lecteur de Lobo-Antunes est un explorateur de ces terres inconnues. Il lui faut se perdre, se laisser entraîner, renoncer parfois même à comprendre pour se rendre à cette musique rare et puissante, ce verbe incomparable qui ne donne rien pour acquis mais forge, malaxe, pétrit, et fait émerger l’histoire à travers l’archaïsme d’une perception qui n’a plus rien de conscient, plus rien d’intellectuel.
Carlos Batista, traducteur de la première heure, transcrit avec génie cette errance intérieure et nous offre la voix la plus somptueuse du Portugal d’aujourd’hui, une œuvre en construction qui suit, déterminée, le chemin d’un langage réinventé.
Antonio Lobo-Antunes, Bonsoir les choses d’ici-bas (Boa tarde às coisas aqui em baixo, traduit du portugais par Carlos Batista), éd. Christian Bourgois, 2005, 716 pages, 27 €
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