Le 21 octobre 2020
Ce roman est à la fois un crève-cœur et un coup de foudre inoubliable.
- Auteur : Tiffany McDaniel
- Collection : Americana
- Editeur : Gallmeister
- Genre : Roman, Nature Writing
- Nationalité : Américaine
- Traducteur : François Happe
- Prix : Prix du roman Fnac, Prix America
- Date de sortie : 20 août 2020
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur
Résumé : Betty naît dans une baignoire, dans une famille nombreuse et en apparence heureuse, bercée par les histoires du père et par les colères de la mère. Si tous semblent finir par trouver la paix à Breathed, ville fictive de l’Ohio, après de fatigantes circonvolutions, de noirs secrets vont bientôt remonter à la surface et briser les rêves créés par les contes de Landon Carpenter...
Critique : La douleur sourde qui anime les pages de ce roman pulse au même rythme que filent les étoiles filantes dans un ciel sans nuage. Betty naît cinquième dans une famille de huit enfants – même si deux de ses aînés disparaissent trop tôt pour qu’elle les connaisse. Ce sera la seule à la peau café au lait, la seule ayant hérité du teint de son père Cherokee. Ses deux sœurs ont la blonde pâleur de leur mère, la grâce et la beauté des Blancs – puisque Betty investit l’Amérique des années 1950, impactée par le racisme et le dégoût, l’intolérance et la violence. La fillette est née dans une baignoire, comme si cela prédestinait les histoires dont allait la bercer son père pour adoucir les moqueries et les souffrances, pour transformer les sévices quotidiens en poussières d’étoiles tombées du ciel, en une « sombre clarté » empreinte de magie.
Parce que ce roman, c’est une brume scintillante qui camoufle les disparitions et les tempêtes, la foudre qui frappe, le destin qui foudroie. C’est un mélange « de rouille et de poussière d’étoiles » (Lolita). Parce que c’est un récit dur et tranchant sur lequel Landon Carpenter et Tiffany McDaniel elle-même sont venus tisser des quartiers de lune comme autant de légendes et de contes merveilleux, pour gommer l’âpreté de la vie de leur famille. Les filles ont une existence plus douloureuse encore que leurs frères, elles perdent bien vite cette innocence, ces visions de champs de fleurs sauvages et de voûte traversée de comètes. Elles sont confrontées à leur condition de femme, réduite à leur soumission aux hommes, à leur incapacité à se dresser face à eux. Elles sont condamnées à s’empaler sur le poignard de la vie, à abandonner leur rêve et à voir disparaître les rayons de soleil que leur père avait allumé dans leurs prunelles d’enfants.
Ce roman est à la fois un crève-cœur et un coup de foudre qui empêche le lecteur de se relever, qui emplit ses yeux de larmes et son cœur d’une amertume satinée par l’âme de conteur qui anime Landon et Betty Carpenter.
Tiffany McDaniel - Betty
Gallmeister
720 pages
26,40 euros
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Kirzy 13 février 2021
Betty - Tiffany McDaniel - critique du livre
« Devenir femme, c’est affronter le couteau. C’est apprendre à supporter le tranchant de la lame et les blessures. Apprendre à saigner. Et malgré les cicatrices, faire en sorte de rester belle et d’avoir les genoux assez solides pour passer la serpillière dans la cuisine tous les samedis. Ou bien on se perd, on bien on se trouve. Ces vérités peuvent s’affronter à l’infini. Et qu’est-ce que l’infini, sinon un serment confus ? Un cercle brisé. Une portion de ciel fuchsia. Si l’on redescend sur terre, l’infini prend la forme d’une succession de collines verdoyantes. Un coin de campagne dans l’Ohio où tous les serpents dans les hautes herbes de la prairie savent comment les anges perdent leurs ailes. »
Lorsqu’un roman commence ainsi, lorsque les promesses annoncées se confirment au fil de la lecture, je sais que je tiens entre les mains un roman coup de coeur. Betty rejoint la ronde des héroïnes Gallmeister inoubliables, Turtle ( My absolute darling), Tracy ( Sauvage ), Nel et Eva ( Dans la forêt ).
Betty raconte les joies et les terribles secrets d’une mère, transmis à travers la fiction d’une fille. Tiffany McDaniel s’est fortement inspiré de l’histoire de sa mère, Betty, née dans les années 1950 en Ohio, dans les contreforts des Appalaches. C’est histoire d’un passage à l’âge adulte, qui commence non pas avec la naissance de Betty mais de la rencontre de ses parents, un Cherokee et une Blanche. Betty en est la narratrice, comme un voix vieillie par la sagesse, par l’expérience des bénédictions et malédictions du passé, par l’espérance de avoir que de jours meilleurs arriveront.
Le résumé ou plutôt les thèmes abordés peuvent faire craindre un pathos lacrymogène racoleur : racisme, handicap, viol, suicide, harcèlement, dépression, violence en tout genre, pauvreté. Et pourtant, jamais ce roman ne bascule dans le sordide vide de sens. Certains passages font mal par la brutalité qu’ils décrivent mais sans jamais tomber dans la pornographie émotionnelle. Plusieurs scènes m’ont bouleversée parce que la douleur exposée y est dite dans le respect de la dignité des personnages.
Ce que je retiens de ce roman superbe, c’est sa lumière. Celle du père, en premier lieu. Je crois que je n’ai jamais rencontré en littérature une figure paternelle aussi belle. Landon est un homme qui était fait pour être père. Il est la boussole morale de cette famille de six enfants. C’est lui qui qui réconforte Betty, celle des enfants qui lui ressemblent le plus, sa Petite Indiennes, comme il l’a surnomme, qui doit faire face aux insultes racistes, aux moqueries quotidiennes sur son physique et aux rejets violents de ses camarades à l’école. Lorsqu’ils se retrouvent tous les deux dans la nature, cela donne des pages absolument magnifiques de poésie : ces réflexions sur l’histoire du peuple cherokee, sa poésie sur la nature et la cosmogonie qui s’y rattache enchantent la noirceur.
Si le roman est celui de l’héritage des abus transmis de génération en génération, il est avant tout le roman d’une résilience. le père guide Betty vers l’écriture pour transcender le quotidien et c’est terriblement émouvant de voir Betty grandir et naître comme écrivaine et poétesse, ses mots lui permettant de transcender les tragédies que sa famille vit, ils ont le pouvoir de briser le cycle.
Oui, ce que je retiens c’est définitivement la lumière de cette destinée féminine et familiale déchirante inoubliable. 700 pages d’une intensité incroyable.