Sous la belle, la bête
Le 1er mai 2023
Présenté à Cannes dans la sélection Un Certain Regard, ce long-métrage sud-africain a conquis jusqu’à la victoire le jury de la Queer Palm. Un film tout à la fois dérangeant et élégiaque, dont l’intensité est résolument due au point de vue qu’il adopte.
- Réalisateur : Oliver Hermanus
- Acteurs : Deon Lotz, Charlie Keegan, Michelle Scott
- Genre : Drame, LGBTQIA+
- Nationalité : Français, Sud-africain
- Distributeur : Equation
- Durée : 1h39mn
- Titre original : Skoonheid
- Âge : Interdit aux moins de 16 ans
- Date de sortie : 12 octobre 2011
- Festival : Festival de Cannes 2011
Résumé : François se déteste. Convaincu que sa vie est gâchée, il est pris de court quand une rencontre fortuite bouleverse son existence propre et rangée. Christian, vingt-trois ans, est le fils d’un vieil ami. De l’avis de tous, il est l’incarnation parfaite du beau jeune homme dans la fleur de l’âge. François s’en trouve secrètement désarmé, consumé par une passion dévorante et une convoitise malvenue. S’étant toujours appliqué à se complaire dans le dégoût de lui-même, le voilà qui laisse sortir des émotions contenues depuis toujours, tentant désespérément d’obtenir de la vie ce qu’il a toujours désiré : le bonheur.
Critique : Tout commence par un plan lent, élégant et cérémonieux, qui traverse un mariage ; le regard s’arrête sur un jeune homme, dont les traits fins et réguliers semblent commander l’admiration des femmes autour de lui. Il lève la tête vers la caméra... et dans le plan suivant, nous voyons enfin qui regarde. Le principe de fonctionnement de Beauty - et toute son ambiguïté - est contenu dans cet échange initial de regards où naît un amour aussi apparemment aveugle qu’impossible : face à cette descente de l’Idée du Beau dans le sensible se trouve un homme qui, lui, demeure du côté du terrestre. Figure massive de muscles et de graisse, morale et idées bien arrêtées, un homme « dans la force de l’âge » et dans la force de la société. Quant à la grande force du film, il s’agit bien de nous installer dans une position dangereuse, celle d’un protagoniste inquiétant, impulsif et humain, dont nous vivons les désirs et les haines. Consciencieusement, Oliver Hermanus dresse le portrait d’une Afrique du Sud vue à travers un prisme afrikaaner passéiste : tant que nous sommes dans le regard de François, l’environnement que nous traversons semble étrangement aseptisé, sans difficultés matérielles ni sociales, et composé presque exclusivement de Blancs. Sans démonstration ni pathos, Beauty fait paraître en négatif un apartheid invisible (racial aussi bien que social), peut-être plus insidieux encore que son odieux précédent ; les réalités actuelles de l’Afrique du Sud et son évolution historique n’existent pas pour le personnage, tant qu’il ne les a pas faites exister pour lui-même.
- © Equation Distribution
C’est avec la même intensité que Beauty s’attaque avec plus d’évidence à la question de l’identité sexuelle, qui constitue le point de départ et le point d’arrivée du film. Sur un thème régulièrement exploité par les séries télévisées ou le cinéma (on pense au très beau film de Todd Haynes, Loin du paradis, celui du mensonge à propos de sa propre orientation sexuelle, Oliver Hermanus prend le parti de mettre en place l’intrigue au plus près des contradictions de son personnage principal. À certains égards, Beauty est une interrogation universelle sur la fascination morbide qui lie l’amant à l’être aimé, jusqu’à la passion ou la destruction ; tandis que l’on voit régulièrement le corps de François pisser, copuler, transpirer, la figure éthérée de Christian prend une distance angélique avec les réalités les plus « viles » et physiques de la vie quotidienne, tout en se chargeant d’une sensualité intense. Il est tout à l’honneur du réalisateur d’avoir su doser l’interprétation des comédiens, le jeu de la lumière ou encore la longueur des plans pour obtenir cette alchimie, assurément très troublante, entre énergie contenue et violence exprimée. Si l’on sent un montage encore un peu hésitant, ou des maladresses de récits, la tension qui se maintient tout au long de Beauty invite à surveiller le futur cinématographique d’Oliver Hermanus. Quel que soit le genre.
- © Equation Distribution
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Jean-Patrick Géraud 8 novembre 2011
Beauty - Oliver Hermanus - critique pour
D’une implacable noirceur, Beauty s’engage d’abord sur le terrain de la "beauté cachée" en suivant de près la passion de François. Regards contenus, tension latente, Hermanus filme le désir d’une main de maître. Sa tragédie a quelque chose d’un Phèdre au masculin : impossible, presque bouleversante, mais du coup un peu dérisoire. Le dénouement y est prématuré, prévisible. Et, passé ce moment du "crime", le film peine légèrement à se tirer d’une impression de tragédie avortée.