La cité des enfants perdus
Le 21 août 2020
Blockbuster auteuriste déprimant et décalé, Batman, le défi est une œuvre génialement schizophrène, à l’image des personnages déments de Gotham City.
- Réalisateur : Tim Burton
- Acteurs : Christopher Walken, Michelle Pfeiffer, Danny DeVito, Michael Keaton, Michael Gough
- Genre : Drame, Action, Film de super-héros
- Nationalité : Américain, Britannique
- Distributeur : Warner Bros. France
- Durée : 2h06mn
- Date télé : 21 août 2020 22:50
- Chaîne : RTL 9
- Titre original : Batman Returns
- Date de sortie : 15 juillet 1992
- Voir le dossier : La série Batman
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Résumé : Non seulement Batman doit affronter le Pingouin, monstre génétique doté d’une intelligence à toute épreuve, qui sème la terreur mais, plus difficile encore, il doit faire face à la séduction de deux super-femmes, la douce Selina Kyle et la féline Catwoman qui va lui donner bien du fil a retordre. Si Bruce Wayne apprécie Selina, Batman n’est pas insensible au charme de Catwoman.
Critique : A l’aube des années 90, Tim Burton était au zénith de sa carrière. Enfant étrange délaissé de Hollywood dont le style grotesque était incompris quelques années plus tôt, il avait enfin été accepté par le public et la critique et n’était pas encore devenu une caricature de lui-même. Après le joli succès de Beetlejuice, il brise tous les records du box-office américain avec son Batman de 1989 qui faisait pourtant peur aux amateurs de comics. Le film se révèle un succès financier historique et s’il est plus sage que les autres films du réalisateur, il introduit néanmoins son imaginaire si particulier aux spectateurs du monde entier. La galerie de personnages déjantés de Gotham City était effectivement le cheval de Troie idéal pour que Burton soit adopté par les familles américaines. Pas forcément très satisfait de son expérience de tournage ni du résultat final (voir l’excellent making-of disponible sur le coffret DVD et Blu-ray où l’auteur s’explique avec candeur), il cède néanmoins aux demandes de la Warner qui lui promet plus de liberté pour la suite inévitable. Et il faut croire que les producteurs ne mentaient pas car Batman, le défi, sous ses atours de divertissement familial, est peut-être l’un des films les plus étranges et personnels de Tim Burton.
Car le réalisateur n’a visiblement plus grand-chose à dire sur le matériau de base, qu’il trahissait déjà assez largement dans le premier opus. Il va encore plus loin cette fois-ci et sa copie entretient peu de liens avec le vénérable univers de comic book. Ainsi, Batman, le défi n’égalera pas le succès populaire de son prédécesseur. Résultat : les pontes de la Warner mettront Burton de côté pour le troisième opus, quand bien même il avoue qu’il était intéressé ! Ils lui préféreront Joel Schumacher, pour le très drôle résultat que nous connaissons. Il faut dire que l’accueil du film est compréhensible. Vendu comme un divertissement familial, Batman, le défi accumule les morts violentes et sanguinolentes et repousse les limites de la classification PG-13 (déconseillé au moins de 13 ans aux Etats-Unis). Quant au personnage de Catwoman, sa sexualité farouche et ses tendances suicidaires sont un amusant contraste au cliché ambulant incarné par Kim Basinger dans le premier épisode. Cette performance fera entrer Michelle Pfeiffer dans la légende et elle deviendra une des icônes du cinéma des années 90. Paradoxalement, toute cette violence et cet érotisme apparaissent au sein d’un film où Danny DeVito collectionne les parapluies et cherche à faire sauter Gotham City à l’aide d’une armée de pingouins terroristes armés de bombes et obéissant à tous ses ordres. Une telle dichotomie est bien rare dans un film de cette ampleur.
Si Batman, le défi ne remplit pas vraiment son contrat de divertissement tous publics, cela ne veut pas dire pour autant que le film est raté, loin de là. Il s’agit même d’un des sommets de la filmographie de Tim Burton, aux côtés d’Ed Wood et Edward aux mains d’argent (L’Etrange Noël de M. Jack est malheureusement disqualifié car réalisé par Henry Selick). Lettre d’amour sombre à des personnages mal dans leurs peaux d’êtres humains et qui se réfugient dans leur animalité primaire, ils forment tous ensemble le bestiaire totémique qui hante les nuits des citoyens de Gotham City. Burton n’a que haine et dédain pour les humains superficiels de cette métropole, il leur préfère les monstres imparfaits et sales qui errent sur les toits et dans les égouts. Tantôt hilarant et parfois incroyablement sombre (les morts multiples de Catwoman), le scénario dérangé de Daniel Waters, accompagné des arrangements lyriques de Danny Elfman et de l’imagerie puissante de Burton, créé une œuvre mélancolique et noirâtre, à l’image de la bille dégoutante que le Pingouin crache en permanence jusqu’à sa triste mort.
Le final du film ne propose ni morale ni leçon sur l’amour ou le courage. Batman, le défi est une série de destins croisés tragiques en route vers l’autodestruction. Batman lui-même ne survivra à cette aventure qu’en provoquant la mort, volontairement ou non, des autres symboles de la ville qui lui font concurrence. Il n’y a de place que pour un seul animal à Gotham City dans la version de Tim Burton. Il n’hésite pas à transformer Bruce Wayne en tueur, contrairement à la version de papier qui se refuse toujours à prendre la vie de ses ennemis. Michael Keaton est une fois de plus jubilatoire dans son interprétation hébétée de ce rôle culte. Quant à Christopher Walken et Michelle Pfeiffer, ils relèvent habilement le défi de devoir succéder au légendaire Jack Nicholson. Mais la performance qui donne son cœur au long-métrage est indubitablement celle de Danny DeVito qui avait pourtant eu droit à une nomination aux Razzy Awards (les Oscars des navets) pour son portrait d’Oswald Cobblepot. Un véritable affront car il créé là un personnage profondément touchant malgré sa laideur intérieure et extérieure. Un tour de force de la part de l’acteur aidé par des maquillages de très grande qualité. Car des effets spéciaux aux décors, encore plus somptueux que ceux du premier, tout l’aspect technique du film laisse sans voix, et le choix de situer l’histoire durant la période de Noël ne fait qu’accentuer l’intemporalité de la Gotham de Burton. Batman, le défi est donc à redécouvrir sans tarder car cette interprétation bizarroïde et déplacée des célèbres personnages de DC Comics ne correspond en rien à ce que l’on peut attendre d’un tel film et c’est une excellente chose. Original, fou, osé, drôle et peint en noir, un film essentiel de Tim Burton.
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