Le 4 septembre 2023
Avec une énergie hors du commun, Chazelle signe déjà, à quarante ans à peine, un film fleuve aux tournures testamentaires. Aussi ambitieux qu’étonnant, Babylon est le dernier opus d’une filmographie exceptionnelle.
- Réalisateur : Damien Chazelle
- Acteurs : Brad Pitt, Tobey Maguire, Lukas Haas, Eric Roberts, Olivia Wilde , Joe Dallesandro, Phoebe Tonkin, Margot Robbie, P.J. Byrne, Li Jun Li, Jovan Adepo, Diego Calva, Jean Smart
- Genre : Comédie dramatique, Historique, Musical
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Paramount Pictures France
- Durée : 3h08mn
- Date télé : 28 octobre 2024 23:03
- Chaîne : Ciné+ Premier
- Compositeur : Justin Hurwitz
- Date de sortie : 18 janvier 2023
- Plus d'informations : Le site du distributeur
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Résumé : À la fin des années 1920, Hollywood est en ébullition. Le sonore réinvente la manière de concevoir l’industrie. Au cœur de la machine, quelques personnages essaient, à leur manière, de toucher du doigt le rêve de participer à quelque chose de plus grand qu’eux : le cinéma.
Critique : S’il est un réalisateur hollywoodien qui peut souscrire à l’étiquette de wonder boy, de petit génie qui a surpris tout le monde en quelques films, c’est bien Damien Chazelle. Le cinéaste franco-américain se distingue depuis dix ans comme un artiste majeur, qui a signé de grands films d’auteurs. En 2014, Whiplash fait vibrer les cinémas. Petite bombe sur un jeune batteur et sa relation pour le moins complexe avec son prof, il propulse Chazelle au rang des auteurs à suivre. Son long-métrage suivant fait chavirer et danser le monde entier. En 2017, La La Land rafle presque tout, et le mérite. Sans rien inventer, il décrit déjà Hollywood et son pouvoir de fascination, avec une histoire d’amour d’une rare intensité portée par les sublimes Emma Stone et Ryan Gosling. Le réalisateur décide de changer d’air en 2019 avec First Man, drame intimiste sous-coté sur la conquête de la Lune et ses impacts sur la vie personnelle des protagonistes, d’une superbe puissance émotionnelle. En comptant sa mini-série Netflix The Eddy, et évidemment son premier long-métrage méconnu sur le monde du jazz, Guy and Madeline on a Park Bench (2009), un dénominateur commun se dégage : l’amour de la musique, avec un penchant pour le jazz.
Un homme se trouve derrière cette inclination pour le film musical : Justin Hurwitz. Il compose sur toutes les œuvres de Chazelle depuis le début, et est en train de créer avec lui une relation semblable à la collaboration Steven Spielberg-John Williams : une œuvre commune, dont le succès dépend en partie de l’osmose entre les deux. C’est peu dire que pour Babylon, Justin Hurwitz se surpasse. Il livre une partition d’une heure trente, d’une intensité foudroyante, d’un vertige frénétique entraînant et épuisant. Il accompagne et fait vivre un film qui est aussi tout cela, non sans défaut, mais avec des fulgurances exceptionnelles. C’est la raison pour laquelle il faut voir Babylon.
- © 2023 Paramount Pictures - All Rights Reserved
L’objet est curieux. À première vue, on pourrait croire à une célébration du cinéma par le cinéma, à une forme de prétention à grand renfort de casting cinq étoiles. Ce serait rester en surface. Après quinze ans de carrière seulement, et à même pas quarante ans, Chazelle propose déjà une œuvre somme, qui démontre un grand recul sur son art et témoigne déjà d’une envie de transmission débordante. Il navigue entre frénésie et mélancolie, se plaçant au croisement du Loup de Wall Street (Martin Scorsese, 2013) et de Once Upon a Time... in Hollywood (Quentin Tarantino, 2019). Il virevolte comme le premier et touche au cœur comme le second. Les références sont prestigieuses, à dessein.
En racontant la fin du cinéma muet, Chazelle fait bien sûr écho à l’industrie d’aujourd’hui. Il la décrit à merveille, avec le séduisant Jack Conrad (Brad Pitt, impérial) qui peine à trouver sa place car il veut faire de l’art, lui. Pas de la « merde ». De désillusion en désillusion, il clame à longueur de film son désir de réinvention. Sa plus grande peine sera d’être écarté par elle : le parlant faisant émerger d’autres visages, et surtout des voix. Il n’aura plus ni l’un, ni l’autre. En parvenant à tenir la nostalgie à l’écart, Chazelle tient la ligne de crête qui est la réussite du film jusqu’au dernier quart d’heure. Il trace avec délice le paradoxe d’un système qui broie autant qu’il émerveille.
Qui de mieux de Nelly LaRoy (Margot Robbie, au cordeau), pour raconter le destin tragique d’un pion de l’industrie, qu’on avale puis recrache sans crier gare ? Femme de tous les excès, de tous les talents, elle symbolise très bien la frénésie ambiante, l’instabilité permanente que Chazelle installe avec talent. Elle joue de sa voix, de son corps, tournoie autour des autres avec un plaisir débordant et une liberté en fin de compte mortifère. En filmant ces instants de transes, ses outrances, Chazelle touche du doigt la suspension, le doux vertige du souvenir qui hante. Il raconte par elle l’effervescence de l’époque, admirée mais pas idéalisée. Car comme toujours, Chazelle, dont le scénario est tout de finesse, contrebalance la rêverie par la décadence, l’excitation par la dépravation.
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Qu’il sera difficile de vendre Babylon à un spectateur mal habitué par l’industrie à la longueur, l’incertitude, la confusion, l’ambition. D’une générosité sans borne, c’est peu dire que Babylon fait figure d’anomalie, à la manière de l’éléphant qui vient chambouler la fête dans la première scène, et détourne l’attention. Mais il n’est pas sûr qu’il garde celle d’un public qui devra faire preuve de courage pour apprécier l’ambition, indépendamment de la réussite, d’un cinéaste qui prouve qu’on peut encore être un jeune auteur à Hollywood. Les premiers résultats du box-office américain sont décevants, et le film mériterait de recevoir un bon accueil du public français, car il représente bien plus que lui-même. Savourons donc ce qui ressemble au baroud d’honneur d’un artiste conscient que c’est peut-être la dernière fois qu’il bénéficie d’autant de moyens.
Si la réussite est incontestable, elle n’est pas totale. Dans sa confusion, le film perd un peu en saveur ce qu’il gagne en longueur, et son montage interroge parfois. Surtout, le message final et la manière dont il est asséné sont contestables. Cet enchevêtrement d’images de cinéma fait s’évanouir le propos ambigu qui prévalait jusqu’alors. Le sourire semble dire que ce qui précède en valait bien la peine. Étonnant, même si la déclaration d’amour de Chazelle, non pas au cinéma mais à l’idée qui nous en reste après l’avoir expérimenté, est magnifique.
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