<A HREF="http://www.amazon.fr/exec/obidos/ASIN/274273953X/avoialir-21" target="_blank">Acheter ce livre</A>
Le 21 janvier 2003
Les tragédies du XXe siècle en vertigineuse plongée dans la mémoire d’un homme dépossédé de ses racines.
Au travers des mécanismes de la mémoire, W.G. Sebald affronte de face la culpabilité collective des Allemands. Austerlitz ou l’histoire d’un homme qui se retrouve dans une vie qui n’est pas la bonne. Un chef-d’œuvre à mettre d’urgence entre toutes les mains.
Un jour, une gare. Celle d’Anvers où le narrateur lie conversation avec Jacques Austerlitz, professeur d’histoire de l’architecture passionné par certains types d’édifices publics monumentaux, forteresses et gares en particulier. Les deux hommes se reverront de loin en loin, à diverses époques de leur vie, fortuitement ou non, rencontres au cours desquelles Austerlitz racontera, au fur et à mesure qu’il parvient à la ressusciter, sa poignante histoire personnelle. Elevé par un prédicateur gallois et sa femme, il en était venu jusqu’à oublier son propre nom qui ne lui sera "restitué" que vers l’âge de dix-huit ans. Il lui faudra des décennies encore avant de sortir de son anesthésie, de battre en brèche son système de défense et d’oser partir à la quête d’un passé dont l’évidence lui est apparue subitement, à la suite d’une émission de radio : il a fait partie d’un de ces transports destinés à sauver des enfants juifs peu avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.
Ainsi peut être résumée en quelques mots la trame d’Austerlitz. Sebald, cependant, n’est pas le conteur d’une histoire mais de mille, tentaculaires. Son texte vertigineux, ni roman, ni essai, possède une forme littéraire propre, à cheval entre document et fiction, forme qu’adoptaient également ses trois précédents ouvrages [1]. Bloc compact, sans aucun paragraphe, il happe le lecteur qui ne trouve d’autre issue que de le lire d’une seule traite, arrêté seulement par les photos en noir et blanc qui l’émaillent, comme pour attester de la véracité du propos.
Construit crescendo, il conduit, au moyen de digressions érudites ou poignantes, vers l’inéluctable de la libération du refoulement qui n’apportera aucune paix à Austerlitz. Rien n’y est gratuit, tout s’explique au bout du compte : la fascination pour les gares renvoie au départ de Prague du petit Jacquot de six ans, celle des forteresses au ghetto de Theresienstadt où fut enfermée sa mère.
Une mélancolie bouleversante émane de ces pages d’une densité foudroyante, illuminées par des moments d’une beauté à couper le souffle, telles les retrouvailles d’Austerlitz avec les lieux et la langue de sa petite enfance ; ailleurs insoutenables, telle la description de la vie quotidienne au ghetto de Theresienstadt. Mais jamais Sebald ne raconte de manière linéaire. Attaché aux chemins de traverse de la pensée, aux associations qui viennent accidentellement à l’esprit, il truffe son texte de considérations éclectiques portant par exemple sur le temps qui se déplie et se replie, une aquarelle de Turner ou... la vie des mites.
Texte d’une richesse incroyable, Austerlitz peut aussi se lire comme un jeu de miroirs. Quelle est la part de Sebald dans le personnage d’Austerlitz auquel il s’identifie jusqu’à lui prêter ses propres traits physiques, sa marotte de la photographie, ses centres d’intérêt, ses angoisses d’écrivain et une grande partie de son histoire personnelle, celle d’un homme qui a choisi l’Angleterre pour patrie ? Histoire qui s’est terminée en décembre 2001. Peu après la sortie du livre en Allemagne, Sebald, dans la force de l’âge créateur, mourait dans un accident de voiture, donnant une résonance de testament à ce qui sera désormais son oœuvre ultime.
En 1913, avec la recherche esthétique de Proust, la beauté des choses du temps perdu faisaient une entrée fracassante en littérature. Sebald a su insuffler une exigence nouvelle à la mémoire. Né en 1944, il fait partie de cette génération d’Allemands qui se sont senti l’obligation de rendre des comptes pour leurs pères. Pour Austerlitz, "la transmission des savoirs développait une sorte de métaphysique de l’histoire et redonnait vie à la matière du souvenir". Ce que Sebald envisage pareillement en s’adonnant à l’urgent devoir de mémoire qui sous-tend son livre, comme écrit d’un seul jet, d’un seul cri. Plus jamais ça !
W.G. Sebald, Austerlitz (Austerlitz, traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau), Actes Sud, 2002, 350 pages, 21,90 €
[1] Vertiges, Les émigrants et Les anneaux de Saturne, tous publiés chez Actes Sud
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.