Notre avis : Intelligemment construit, ce roman met brillamment en lumière les fêlures humaines, et particulièrement celles de l’homme qui a vécu la guerre. Tim O’Brien a lui-même été soldat au Vietnam et ses neuf récits abordent ce sujet d’une manière ou d’une autre. Ici, c’est une sorte de reflet de la vie du héros, semblable à la couverture, parfaite en apparence, mais qui se craquèle peu à peu, de plus en plus, jusqu’à voler en éclats.
John Wade vient en effet de perdre la primaire de son parti et même si Kathy, sa femme, en semble ravie, lui est littéralement détruit. Il a un besoin physiologique d’être aimé, besoin qu’il comble et cache derrière des tours de magie plus ou moins hasardeux, s’attirant ainsi les sympathies de son entourage. Petit, c’était l’approbation de son père qu’il recherchait. Puis il a grandi, attendu l’attention de ses camarades de combat, et celle de l’amour de sa vie, bien sûr, de tout temps. Kathy et lui se sont connus à la fac, et leur relation est fusionnelle, sans doute trop pour pouvoir être saine. C’est en tout cas le postulat du narrateur qui, à bien des moments, se confond avec l’auteur pour ne plus former qu’un avec lui, égarant le lecteur. Celui qui raconte est celui qui recherche, qui fouille le passé de John pour retracer son enfance, son chemin, comprendre ses déviances et surtout enfin déterminer ce qui arrive à Kathy. Les amoureux ont en effet trouvé refuge dans un cottage du Minnesota, pour se remettre de la défaite politique qu’il vient de subir lorsqu’elle disparaît. Purement et simplement. Meurtre, enlèvement, énième coup de baguette de celui que ses amis appelaient Sorcier ? Personne ne le saura jamais. Pourtant, ce n’est pas faute de questionner l’entourage du couple, les connaissances de chacun, de compulser nombre de livres sur les vétérans et sur la politique américaine. Mené d’une main de maître, le roman bondit d’hypothèses en interviews, de souvenirs de l’enfance de John en réminiscences de la guerre, emportant tout sur son passage. Les phrases longues et imagées sont parfois sordides, toujours bouleversantes et d’une justesse à faire froid dans le dos. L’ambiance est pesante, cette sensation étant accentuée par l’atmosphère du bois au bord du lac, le froid qui arrive, le vent qui se lève et la neige qui commence à tomber, tandis que les pins oscillent doucement sous les rafales.

À de nombreuses reprises, le lecteur est tenté de se dire que tout cela a existé ailleurs que dans l’esprit de Tim O’Brien. Bien entendu, les histoires de ce genre, causées par la grande Histoire, ont dû se produire, mais pourtant pas à la connaissance de l’auteur. Il l’affirme en préambule et nous sommes bien forcés de le croire – tout semblait malgré tout si réel, si tangible presque…