Le 21 août 2024
- Scénariste : Sole Otero>
- Dessinateur : Sole Otero
- Genre : Fantastique, Horreur, comédie
- Editeur : Éditions çà et là
- Famille : Roman graphique
- Date de sortie : 16 août 2024
Sole Otero convoque la figure de la sorcière, mâtiné de croyances amérindiennes, pour composer un conte drôle et cruel aux accents féministes, dans le Buenos Aires d’hier et d’aujourd’hui.
Résumé : Port de Buenos Aires, 1768. Trois femmes encapuchonnées, accompagnées d’un étrange bouc, débarquent d’un navire après avoir subtilisé un enfant à sa mère. Ces trois sœurs s’installent dans un manoir imposant – situé en périphérie avant d’être intégré à la ville en raison de l’urbanisation galopante –, tissent leur toile en traversant les époques et recourent à d’étranges rituels… Du XVIIIe siècle à nos jours, des personnages très divers croisent de façon directe ou indirecte la route de ces sorcières, pour le meilleur et souvent pour le pire, tant celles-ci agissent comme le révélateur des travers de chacun…
Critique : Après l’excellent Naphtaline, lauréat du Prix du Public lors du festival d’Angoulême 2023, le nouvel album de Sole Otero, réalisé pendant un séjour en résidence à la Maison des auteurs d’Angoulême, était attendu. L’autrice argentine investit avec Walicho le réalisme magique, un registre bien ancré dans la littérature sud-américaine qui introduit des éléments surnaturels dans un cadre bien identifié, ici la ville de Buenos Aires. Le surnaturel provient ici de la figure de la sorcière que les mouvements féministes se réapproprient pour mettre en évidence son caractère transgressif et émancipateur, la sorcière se libérant des normes patriarcale. C’est bien sûr à dessein que Sole Otero convoque cette figure, à travers ces trois sœurs qui traversent les âges. Elle le fait toutefois avec adresse, mélangeant cette icône occidentale à la culture sud-américaine. Comme elle le stipule dans un préambule, « walicho » est un terme polysémique qui signifie en langue mapuche, un être qui personnifie les malheurs, en créole le diable ou une force du mal, et en argentin le sortilège réalisé par la magie noire. Le bouc qui accompagne ces trois femmes constitue une sorte d’avatar maléfique – traité avec humour dans le récit –, cet animal étant apparenté au diable dans la culture chrétienne.
- © Sole Otero / çà et là
Les trois sorcières sont le fil rouge des neufs récits plus ou moins courts qui composent l’album. Ces histoires se déroulent dans le même quartier, mais à différentes époques, et convoquent des personnages différents. On croise tour à tour deux amis qui discutent sur une terrasse de café, l’un décrivant à l’autre les problèmes lié à sa libido depuis qu’il a vu un étrange rituel où ces femmes copulent des hommes visiblement drogués dans un cercle infernal, une jeune mère célibataire qui se met au service de ces trois sœurs au XIXe siècle, une jeune femme incapable de sortir de chez elle qui est contacté par un vétérinaire intrusif, un couple qui se dispute parce que lui souhaite connaître les secrets de famille de sa compagne… Ces récits mis bout à bout, qui se font parfois écho, jettent une lumière progressive sur ces sorcières et bâtissent une comédie de mœurs où l’on s’arrête sur des travers sociaux, à commencer par le machisme et le patriarcat. Sole Otero tantôt se moque de l’obsession de certains hommes pour le sexe (mais le dernière histoire montre que les femmes ne sont pas en reste), tantôt met en scène les différentes formes de pression et de violence masculine sur les femmes. À cet égard, les sorcières jouent le rôle de miroir révélateur. Les sorcières de Walicho sont cependant des figures inquiétantes, et potentiellement maléfiques…
- © Sole Otero / çà et là
Outre sa narration, l’originalité de Walicho réside dans la diversité graphique et narrative des neuf histoires. Sole Otero conserve son trait souple très distinctif, avec ses personnages aux corps disproportionnés par rapport à leur visage, et ses mises en page très travaillées. La couleur occupe une place cardinale dans dans le dessin d’Otero, avec une réelle fonction narrative. La dessinatrice possède un sens aigu de la mise en scène, et varie remarquablement son découpage. Ses histoires jouent d’ailleurs avec les registres narratifs, du journal intime d’une enfant au récit clos où la narration repose sur un échange de mail et le rêve, en passant par l’aventure fantastique. Cette inventivité constitue un vrai point fort du récit, tant il relance constamment l’intérêt du lecteur au fil de ces presque 400 pages.
- © Sole Otero / çà et là
Album ample très maîtrisé, à la fois féministe, drôle et horrifique, Walicho séduit par son originalité narrative, et confirme tout le talent de Sole Otero. Un livre important de cette rentrée littéraire.
376 pages – 28 €
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