Arno - André Juillard, Jacques Martin - la chronique BD

De Venise aux prés anglais en passant par un long détour par la campagne d’Égypte, André Juillard a choisi avec Arno de voyager, de présenter des lieux et une époque quelque peu méconnue, celle de la transition du pouvoir qui est offert sur un plateau pour le Premier Empire français de Bonaparte. En reprenant des informations historiques vérifiées, notamment sur les conditions de la conquête d’Égypte, des combats contre les mamelouks et les avancées dans le désert, le duo (avec Jacques Martin) mène son héros sur des sentiers de l’Histoire. Une randonnée en forme d’enquête de contre-espionnage, où l’élément le plus intéressant et peut-être le plus original réside dans le personnage central. Arno est un héros plus proche d’un hussard sur le toit de Giono, d’un Sorel de Stendhal plutôt qu’un Jack Reacher ou un Tom Clancy, au sens où il est plutôt faible, voire nul. Il est celui qui échoue, qui se fait toujours capturer, qui ne vise jamais bien, qui ne protège pas ceux qu’il aime, qui a la chance d’être sauvé par d’autres, meilleurs que lui. Jusqu’au bout, même dans sa quête de vengeance du troisième album qui le conduira sur la piste d’un Lord anglais, infiltré sur les terres voisines, ce ne sera pas lui qui pourra se vanter d’avoir conduit à la perte de son ennemi. Et c’est probablement la beauté de cet artiste, héros malgré lui, qui a cependant pour lui le courage, l’honneur et l’abnégation.

© Casterman / Juillard

Dessin sublime, de l’âge d’or de la bande dessinée franco-belge, Arno est dans la lignée des autres séries de Juillard : une recherche constante de réalisme, des couleurs éclatantes, des uniformes impeccables, des personnages aux gueules différentes et aux moues vivaces. Une mention particulière pour les décors sublimes des temples de Louxor, ou les façades magnifiques de la Cité des Doges, voire le pont d’une frégate napoléonienne, même en triste état suite aux attaques de Nelson, tout est reconstitué comme si un musée l’avait commandé, et l’on découvre une beauté dans chacune de ces planches habilement travaillées. Le roman graphique est une étape moderne de la bande dessinée, mais cette série là, c’est le classicisme.

© Casterman / Juillard

Si vous ne connaissez pas Arno, profitez de cette intégrale pour vous régaler d’un monument de la bande dessinée franco-belge, et pour les aficionados, retrouver ces trois tomes réunis aura quelque chose de délicieusement nostalgique.