Prix du Livre Inter 2019
Le 13 juin 2019
C’est une enfant d’à peine six ans qui entre avec ses parents à Liberty House, pour échapper aux dangers de notre société. Dirigée par Arcady, cette communauté fermée se veut le refuge de l’amour complet et libéré. Mais comment grandir dans un monde qui a déserté la réalité ?
- Auteur : Emmanuelle Bayamack-Tam
- Editeur : P.O.L
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Française
- Prix : PRIX INTER
- Date de sortie : 23 août 2018
- Plus d'informations : Le site officiel
L'a lu
Veut le lire
Résumé :
La jeune Farah, qui pense être une fille, découvre qu’elle n’a pas tous les attributs attendus, et que son corps tend à se viriliser insensiblement. Syndrome pathologique ? Mutation ou métamorphose fantastique ? Elle se lance dans une grande enquête troublante et hilarante : qu’est-ce qu’être une femme ? Un homme ? Et découvre que personne n’en sait trop rien. Elle et ses parents ont trouvé refuge dans une communauté libertaire qui rassemble des gens fragiles, inadaptés au nouveau monde, celui des nouvelles technologies et des réseaux sociaux. Et Farah grandit dans ce drôle de paradis, avec comme terrain de jeu les hectares de prairies et forêts qu’elle partage avec les animaux et les enfants de la communauté, qui observent les adultes mettre tant bien que mal en pratique leurs beaux principes : décroissance, anti-spécisme, naturisme, amour libre et pour tous, y compris pour les disgraciés, les vieux, les malades.
Notre avis :
« Sa patrie, c’est l’amour »
La devise pourrait être inscrite sur le fronton de cette « maison de la liberté », mais elle reste gravée dans toutes les têtes : « Omnia vincit amor », l’amour triomphe de tout. Érigée sur le frontispice de leurs vies, ce principe montre la route à ces âmes perdues, sous la conduite d’Arcady, leur guide et maître spirituel, leur gourou.
Refuge pour tous les déclassés, névrosés, angoissés, invalides de la vie urbaine contemporaine, ils viennent à Arcady, comme on viendrait au bonheur : sans limite et sans peur. Tous inadaptés à notre société, Liberty House les accueille les bras ouverts, et les invite à se mettre au vert dans sa grande forêt domaniale, et au rose dans un amour partagé et inconditionnel.
À force de voir les gens s’aimer sans réserve, Farah aimerait connaître, elle aussi, les plaisirs de l’amour. Entière et passionnée, elle doit attendre son tour. Arcady a tout son temps car, comme tous les autres, Farah ne voit que par lui, et son désir lui est totalement dédié. Sa ferveur est sans limite pour celui qui a toujours prêché le droit à la différence et à « s’accepter tel que l’on est, avec ses tares éventuelles », au point que la communauté est devenue un véritable « refuge pour freaks » de toute nature. Mais toutes les tares sont-elles attirantes pour tous, notamment pour Arcady, alors que la jeune fille ne rêve que de « s’oublier dans cette servitude » ?
« La langue ardente du désir »
Entrée très jeune et élevée par le groupe, plus que par ses parents, Farah participe à la vie communautaire, partageant le travail, l’instruction ou toute information dans cette maison qui fonctionne comme un phalanstère. Sa mère, « neurasthénique et aboulique », souffrant d’hyper-électrosensibilité et autres angoisses diverses et variées, son père hyperémotif, et sa grand-mère, lesbienne délurée et naturiste à la vulve percée, sont avec elle, tout en l’ignorant. Trop occupés à rechercher l’amour parfait, ils ne la voient plus. Devenue adolescente, son apprentissage ne se fera pas sans douleur pour celle qu’Arcady surnomme Farah Fawcett. Sa croissance est problématique, car hors-norme : victime d’« hypercyphose dorsale », elle grandit bossue. Mais comme si cela ne suffisait pas, les caractères sexuels secondaires qu’elle développe ne sont pas ceux d’une jeune fille, mais ceux d’un garçon : carrée, musclée, moustachue, et un vagin qui s’atrophie... Farah Fawcett ressemble de plus en plus à Silvester Stallone... mais personne ne s’en inquiète, puisque tout le monde doit s’accepter tel qu’il est.
La maison est remplie d’amour, mais personne ne sait où il est. S’accepter et s’aimer tous ensemble, à condition de ne pas être dérangé. Tous ont trouvé refuge, mais lorsqu’un réfugié frappe à la porte, il n’est pas question de laisser entrer l’étranger. Un entre-soi, une exclusion digne d’un système personnel, alors qu’il se revendique universel. La jeune Farah trouvera-t-elle sa place dans cette société ?
Drôle, enlevé ou posé, le ton d’Emmanuelle Bayamack-Tam détonne dans le paysage littéraire français. Alternant un langage cru assumé avec un style plus soutenu et pétri de références culturelles, comme Mallarmé ou même Ellroy, son rythme décalé épouse parfaitement son sujet. Abordant la question du genre à travers un individu queer, ni femme ni homme, elle remet en cause nos propres représentations sexuelles, mais aussi politiques par le prisme de la secte fermée, qui prône une ouverture et un idéal de liberté illusoire.
Auteure de douze romans à son nom, mais aussi de deux autres sous le pseudonyme de Rebecca Lighieri, dont son dernier succès Les garçons de l’été, l’écrivaine prolifique obtient sa distinction la plus importante avec Arcadie, prix du Livre Inter 2019.
« Le corps est central dans mon écriture et je suis toujours étonnée qu’il ne le soit pas davantage dans celle des autres. »
Charnelle et incarnée, l’écriture d’Emmanuelle Bayamack-Tam est à lire et à suivre.
Emmanuelle Bayamack-Tam – Arcadie
P.O.L
439 pages
20.5 x 14.2 x 2.8 cm
La chronique vous a plu ? Achetez l'œuvre chez nos partenaires !
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.